Libye : zéro pointé onusien
Si l’ONU incite fortement à la tenue, cette année, d’un référendum constitutionnel et d’élections présidentielle et législatives en Libye, cette perspective pourrait ne pas être la solution. L’ONU ne semble en effet pas avoir retenu les leçons de ses errements répétés.
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Mathieu Galtier
Journaliste, coauteur de « Jours tranquilles à Tripoli » (Riveneuve, 2018)
Publié le 21 mars 2018 Lecture : 4 minutes.
Tribune. An 2031. Sujet d’examen de droit international : « Pourquoi parle-t‑on de fiasco de la diplomatie internationale en Libye après la révolution de 2011 ? Vous avez quatre heures. »
C’était le thème redouté par tous les étudiants. Pas la question – un grand classique, d’autant qu’on célèbre cette année-là le vingtième anniversaire du soulèvement – mais le temps imparti : 240 minutes pour énumérer et classer les erreurs de l’ONU. Une gageure.
À aucun moment les Nations unies n’ont compris ce qui se passait en Libye ni anticipé ce qui l’attendait
À aucun moment les Nations unies n’ont en effet compris ce qui se passait en Libye ni anticipé ce qui l’attendait. Le constat semble sévère et facile à dresser a posteriori, sauf que, au moment des faits, observateurs, journalistes et diplomates prévoyaient déjà l’emballement de la machine infernale libyenne.
L’après Kadhafi
Juillet 2012. Mouammar Kadhafi est mort depuis moins de neuf mois. Premières élections libres. Premières méprises. Sur la date – trop tôt –, sur le mode de votation complexe – mélange de scrutin uninominal et de listes politiques – et, surtout, sur l’analyse des résultats.
Le parti « modéré » de Mahmoud Jibril, ex-chef du Conseil national de transition (CNT), le gouvernement révolutionnaire, arrive en tête. À New York, au siège de l’ONU, on célèbre ce vote qui fait barrage à la montée des Frères musulmans, déjà majoritaires en Égypte et en Tunisie.
Comme si les élections étaient une fin en soi et non un simple outil démocratique
Comme si les élections étaient une fin en soi et non un simple outil démocratique. Les Libyens, ayant « bien voté », seront récompensés en vivant dans l’« Allemagne de l’Afrique », comme certains électeurs enthousiastes aiment alors à répéter.
Réconciliation ?
Il ne faudra pourtant que quelques semaines aux islamistes pour obtenir la majorité au Congrès général national (CGN, l’Assemblée) grâce au soutien des élus indépendants. Ils imposent une loi stricte visant à bannir des hautes fonctions politiques et administratives les responsables de l’ancien régime.
Exit donc Mahmoud Jibril, qui avait dirigé une institution économique sous Kadhafi. Une bataille de politique intérieure et un climat de division qu’a favorisés la communauté internationale en refusant d’intégrer dans le processus de réconciliation, amorcé alors, les ex-cadres kadhafistes qui n’avaient pas de sang sur les mains.
Il faudra attendre la nomination de Ghassan Salamé à la tête de la mission de l’ONU en Libye en juin 2017 pour que cet interdit tombe vraiment. Pis : l’un de ses prédécesseurs alors en poste, Bernardino León, est pris en flagrant délit de négocier, en 2015, un poste académique aux Émirats arabes unis, qui sont partie prenante dans le conflit libyen…
>>> A LIRE – Ghassan Salamé : « L’ONU reconnaît la dimension africaine du drame libyen »
Une faute individuelle, certes, mais qui n’est que la partie émergée d’un iceberg onusien s’écartant de plus en plus des standards de bonne gouvernance que l’organisation s’est elle-même fixée.
À l’été 2014, la bataille de Tripoli divise le pays, qui se retrouve avec deux gouvernements. L’ONU parvient à un accord en décembre 2015 avec la constitution d’un troisième gouvernement dit d’« union nationale ».
Ce traité ne sera jamais ratifié dans les règles ? Pas grave.
Le Premier ministre, Fayez al-Sarraj, et ses ministres sont nommés par l’ONU sans l’aval des acteurs libyens ? Pas grave.
Le gouvernement n’arrive pas à imposer sa légitimité ? Pas grave.
Qui peut alors encore s’étonner que l’Union européenne, par le biais de l’Italie, conclue des accords directement avec des trafiquants-passeurs pour juguler le flux de migrants ?
Cherchant à se réinstaller durablement dans la capitale libyenne, l’ONU est obligée de négocier avec des groupes armés locaux alors qu’elle appelle de ses vœux la constitution d’une armée et d’une police nationale… Pas grave, vous dis-je !
Qui peut alors encore s’étonner que l’Union européenne, par le biais de l’Italie, conclue des accords directement avec des trafiquants-passeurs pour juguler le flux de migrants ?
>>> A LIRE – Libye : l’ONU dévoile sa feuille de route pour redonner un « avenir » au pays
Élections
Mais l’ONU ne semble pas avoir retenu les leçons de ses errements répétés. La voilà maintenant qui incite fortement à la tenue, cette année, d’un référendum constitutionnel et d’élections présidentielle et législatives, comme si voter était l’alpha et l’oméga d’une diplomatie internationale réussie.
Les élections, d’accord, mais si le référendum est maintenu, je démissionne. Il pourrait entraîner une guerre civile », avait déclaré Imad al-Sayeh
Président de la commission chargée des élections, Imad al-Sayeh avait averti très clairement à l’automne : « Les élections, d’accord, mais si le référendum est maintenu, je démissionne. Il pourrait entraîner une guerre civile. »
Une perspective désastreuse à ne pas écarter. En décembre 2010, avant les révolutions arabes, les Nations unies s’étaient réjouies du référendum à venir (en janvier 2011) sur l’indépendance du Soudan du Sud. Le chercheur Marc Lavergne, lui, mettait en garde contre un « suicide collectif ». La suite lui a donné raison.
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