Aziz en roue libre
Les négociations avec le pouvoir ayant tourné court, l’opposition décide de boycotter la présidentielle du 21 juin. Et ouvre la voie à la réélection du chef de l’État sortant.
"Nous n’irons pas à cette élection, à moins que ne soit fixé un nouveau calendrier consensuel." Cadre du Rassemblement pour la démocratie et l’unité (RDU), un parti membre du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU, opposition radicale), Idoumou Ould Mohamed Lemine résume en quelques mots l’impasse dans laquelle se trouve la classe politique mauritanienne à un mois de la présidentielle. À peine entamé – en avril -, le très attendu "dialogue politique" entre le gouvernement, l’opposition radicale et l’opposition modérée, censé déboucher sur une feuille de route permettant de garantir une élection transparente et "inclusive", a en effet tourné court.
Trois revendications principales – communes aux divers mouvements de l’opposition – devaient faire l’objet de cette négociation tripartite : l’indépendance de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), jugée inféodée au président Abdelaziz ; la transparence du fichier électoral, la campagne d’"enrôlement" commencée en 2011 étant dénoncée comme partiale en ce qu’elle écarterait, en Mauritanie comme dans la diaspora, des populations considérées comme hostiles au régime en place, en particulier chez les Négro-Mauritaniens ; et enfin le calendrier de l’élection, puisque les garanties réclamées par l’opposition auraient forcément nécessité un report du scrutin, initialement prévu pour le 21 juin. "Nous estimions que le scrutin devait être reporté d’un an", précise Ladji Traoré, secrétaire général de l’Alliance populaire progressiste (APP, opposition modérée). Idoumou Ould Mohamed Lemine ironise, quant à lui, sur la volonté du gouvernement de faire respecter coûte que coûte cette date, jugée irréaliste, sous prétexte d’observer les délais constitutionnels : "Les législatives de novembre dernier avaient fait l’objet de plusieurs reports successifs, et le renouvellement partiel du Sénat est différé depuis trois ans !" Une détermination à géométrie variable que l’opposition veut interpréter comme le signe que le pouvoir cherche à biaiser l’élection présidentielle à son détriment.
Maintes fois évoqué depuis l’accord de Dakar de 2009, qui a servi de base à la normalisation institutionnelle après le coup d’État de Mohamed Ould Abdelaziz un an plus tôt, le dialogue politique a donc avorté une nouvelle fois. En avril, à l’initiative du gouvernement, les trois parties s’étaient pourtant assises autour d’une même table pour adopter une feuille de route consensuelle. Mais à peine un ordre du jour en trois points avait-il été adopté que des divergences d’interprétation quant à sa mise en oeuvre l’ont rendu caduc. "L’opposition avait accepté que la convocation du collège électoral, le 21 avril, ne constitue pas un point de blocage, résume Idoumou Ould Mohamed Lemine. De son côté, le gouvernement s’était engagé à respecter le calendrier électoral qui serait adopté au terme du dialogue politique. Mais au moment de signer ce document, le camp gouvernemental a souhaité supprimer cette dernière mention, ce qui a entraîné le boycott."
volte-face
Six mois après des élections législatives et municipales que l’opposition radicale avait déjà boycottées, la crise politique s’aggrave, à la veille d’une élection présidentielle dont l’issue, si elle se tient le 21 juin, ne fait aucun doute. Car cette fois, les deux autres branches de l’opposition, la Convention pour une alternance pacifique (CAP, opposition modérée) et le mouvement islamiste Tawassoul, qui avaient concouru en novembre-décembre face au parti du président Abdelaziz, l’Union pour la République (UPR), ont fait volte-face – à l’exception d’El Wiam, l’un des trois partis composant la CAP. À l’instar du FNDU, ils ont annoncé que, cette fois, ils boycotteraient l’élection.
Ainsi, malgré ses divisions internes, l’opposition aura fini par adopter une position commune face au camp présidentiel. Mais pour quel bénéfice ? Après avoir écrasé les législatives (l’UPR a remporté la majorité absolue au Parlement), le chef de l’État sortant n’aura donc à affronter aucun véritable adversaire, la totalité des opposants historiques ayant fait le choix de rester chez eux le 21 juin. Exit Ahmed Ould Daddah, le président du Rassemblement des forces démocratiques (RFD, membre de la COD et du FNDU), chef de file de l’opposition radicale et candidat malheureux en 1992, 2003, 2007 (où il est arrivé en deuxième position au premier tour) et 2009. Exit Messaoud Ould Boulkheir, de l’APP (membre de la CAP), actuellement président du Conseil économique et social et ancien président de l’Assemblée nationale, qui incarnait l’opposition modérée et s’était présenté à la présidentielle en 2003, 2007 et 2009. Exit aussi Mohamed Ould Maouloud, leader de l’Union des forces de progrès (UFP, membre du FNDU), héritière de la gauche historique, qui avait concouru en 2007 et en 2009. Exit enfin Mohamed Jemil Ould Mansour, le leader du mouvement islamiste Tawassoul (membre du FNDU), force politique montante devenue en décembre 2013 la première force d’opposition à l’Assemblée.
bonne foi
Face à Mohamed Ould Abdelaziz, seuls quatre candidats brigueront les suffrages des Mauritaniens – sous réserve de retraits de candidature d’ici au 21 juin. Or force est de constater qu’aucun de ces challengeurs n’est en mesure d’inquiéter le président sortant. "Les partis d’opposition sont en train de se marginaliser dangereusement", estime un chercheur français spécialiste de la Mauritanie. Car, en boycottant la présidentielle après le boycott partiel des législatives, ils abandonnent tout l’espace politique à leur principal adversaire, au risque de provoquer l’incompréhension d’une large fraction de Mauritaniens.
Dans le camp présidentiel, on plaide la bonne foi. Mohamed El Mokhtar Ould Zamel, le président du groupe parlementaire UPR, estime ainsi que le gouvernement n’a écarté de l’ordre du jour aucun point revendiqué par l’opposition, tout en affirmant que le camp Abdelaziz s’est montré soucieux d’instaurer "un dialogue serein pour aboutir à une élection présidentielle inclusive, à laquelle tout le monde participe". "Nous ne sommes pas favorables à la politique de la chaise vide mais la situation la justifie, estime pourtant Ladji Traoré, de l’APP. Nous serions prêts à jouer le jeu si le camp gouvernemental nous permettait d’adopter une position commune sur la feuille de route et le calendrier." Quitte à trouver ensuite un habillage juridique pour entériner un report de plusieurs mois et rouvrir aux opposants la possibilité de présenter leur candidature. Ce qui, pour l’heure, ne semble pas être l’option retenue par le camp Abdelaziz.
Quatre faire-valoir ?
Quatre candidats affronteront le président sortant, Mohamed Ould Abdelaziz, le 21 juin : Biram Ould Abeid, militant des droits de l’homme connu pour son combat contre l’esclavage, mais novice en politique ; Lalla Mariem Mint Moulaye Idriss, proche du parti au pouvoir et à la tête du conseil d’administration de l’agence de presse officielle, l’Agence mauritanienne d’information (AMI) ; Ibrahima Moctar Sarr, militant historique des droits des Négro-Mauritaniens, déjà candidat en 2007 et 2009, qui préside l’Alliance pour la justice et la démocratie/Mouvement pour la rénovation (AJD/MR), un parti "attaché à la participation de tous les pôles politiques pour le dépassement par les urnes de la crise qui secoue le pays" ; et Boidiel Ould Houmeid, ancien ministre de Maaouiya Ould Taya et leader d’El Wiam, l’un des trois partis qui composent la CAP. Sa candidature provoque d’ailleurs des remous dans les rangs de son mouvement.
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