Crimes sexuels en Afrique, bientôt la fin de l’impunité ?
Les violences sexuelles sont un fléau qui mine l’Afrique à bas bruit.
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Sheila Muwanga
Sheila Muwanga est une travailleuse sociale ougandaise, spécialiste en droits des femmes et vice-présidente de la FIDH.
Publié le 7 mars 2018 Lecture : 3 minutes.
Tribune. En décembre paraissaient, dans un rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), des témoignages de femmes sur les crimes contre l’humanité commis dans la province du Kasai, en République démocratique du Congo. Elles y dénonçaient les viols, tortures et exécutions de civils principalement par des miliciens soutenus par la police et l’armée. Il y a à peine une semaine, la Commission des Nations unies sur la situation des droits humains au Soudan du Sud dénonçait dans un rapport les viols collectifs, mutilations sexuelles, actes de nudité forcée qui demeurent encore aujourd’hui une caractéristique principale du conflit en cours, touchant à la fois les femmes et les hommes. Ces crimes n’ont rien d’inédit. En témoigne la façon avec laquelle le viol a été utilisé à des fins politiques ou comme arme de guerre en RCA, au Kenya, en Côte d’Ivoire, au Mali, en Égypte.
Dans ce contexte, l’adoption par la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples de « lignes directrices pour lutter contre les violences sexuelles et leurs conséquences en Afrique » constitue un symbole fort. Ce nouvel instrument – à l’élaboration duquel la FIDH a activement participé – marque un tournant dans la prévention de tels crimes et la lutte contre l’impunité de leurs auteurs.
Il y a urgence à agir en la matière. Car les auteurs de violences sexuelles échappent presque systématiquement aux poursuites. C’est par exemple le cas des tortionnaires du Darfour (Soudan) ou de ceux ayant perpétré des massacres mais aussi des viols au stade de Conakry (Guinée), le 28 septembre 2009.
Les lignes directrices adoptées sont ambitieuses, et vont bien plus loin que certaines législations de pays considérés comme progressistes. Comment ? En permettant, par exemple, aux victimes de violences sexuelles de saisir la justice tout au long de leur vie, même longtemps après les faits. Autre avancée de taille : ces lignes directrices encouragent les États africains à donner la possibilité aux juges de considérer les témoignages des victimes comme une preuve suffisante. Rares sont les pays à pousser aussi loin les droits des victimes. Notons, par ailleurs, que la Commission réclame un accès garanti à l’avortement pour toutes les victimes de viol, y compris pour les mineures.
En Somalie, en Égypte, en Guinée ou à Djibouti plus de 90% des femmes sont victimes de mutilations génitales
Qu’on ne s’y trompe pas toutefois : plus de la moitié du chemin reste à faire. Il revient en effet désormais à chaque État membre de l’Union africaine d’harmoniser ces préconisations avec leur droit interne et de prendre les mesures qui s’imposent pour les rendre effectives. Nous les y exhortons, évidemment.
Et ce d’autant plus que les violences sexuelles – loin de n’être qu’une arme de guerre – sont une souffrance quotidienne pour des millions de femmes, mais aussi d’hommes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en Somalie, en Égypte, en Guinée ou à Djibouti plus de 90% des femmes sont victimes de mutilations génitales. En Éthiopie, 71% d’entre elles disent avoir été physiquement et/ou sexuellement abusées par leur partenaire. En Afrique subsaharienne plus généralement, 39% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans, une pratique allant souvent de pair avec le mariage forcé. Si les données statistiques portant sur les violences sexuelles contre les hommes font encore grandement défaut, ces derniers sont eux aussi touchés par ce fléau.
Il y a donc urgence à agir. L’espoir réside dans ce que les langues se délient, les actions se multiplient, la mobilisation se structure. Mais ces initiatives ne sauraient avoir d’impacts sur le long terme si elles ne s’accompagnent pas d’une volonté politique des États. Pour les femmes d’abord. Pour l’Afrique ensuite. Car en bafouant ainsi les droits les plus élémentaires de la moitié de sa population, c’est tout un continent qui s’ampute d’une partie de lui-même.
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