« La Tunisie sera sauvée par ses femmes », vraiment ?
« La Tunisie sera sauvée par ses femmes », prédisent à l’envie les hommes politiques en Tunisie.
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Frida Dahmani
Frida Dahmani est correspondante en Tunisie de Jeune Afrique.
Publié le 8 mars 2018 Lecture : 3 minutes.
Chronique. La formule est jolie, mémorisable, sonne bien… si ce n’est qu’elle semble surtout avoir été fournie avec un kit d’éléments de langage qui font eux aussi florès. Derrière cet apparent engouement pour les femmes, un chiffre : plus d’un million de Tunisiennes ont voté pour le président Béji Caïd Essebsi en 2014.
Dans les starting-blocks des législatives et présidentielle de 2019, les hommes politiques se rappellent soudain que la moitié de l’électorat est féminin. Personne ne leur en voudra de faire déjà des calculs, c’est la règle. Mais pour sortir vainqueur des urnes, il faut convaincre, se présenter comme le meilleur, ou du moins comme celui qui aurait les facultés, voire le talent, de diriger un pays comptant autant d’hommes et que de femmes. Or asséner que « la Tunisie sera sauvée par ses femmes », n’est ni plus ni moins qu’un aveu d’échec pour un dirigeant politique.
Avant même que celui-ci n’ait présenté quoique ce soit, il déclare finalement qu’il n’est pas le sauveur attendu. C’est aussi reconnaître aux Tunisiennes des capacités et des compétences nécessaires au pays, là où pas moins de huit gouvernements, qui ne leur réservaient que peu de postes, ont échoué. Car les femmes au pouvoir font peur… elles seraient bien capables de réussir !
Elles sont aussi des électrices à ménager. Reste que peu de partis ou de figures politiques masculines ont osé prendre fait et cause dans la bataille pour la mise en pratique d’une égalité totale entre Tunisiens et Tunisiennes. « Soutenir ouvertement les femmes risque de nous couper de nos électeurs, de froisser des susceptibilités », avoue un dirigeant politique. Cela a le mérite d’être clair. Les partis, donc, veulent bien des femmes tant que cela leur convient, mais il n’est pas question d’aborder et de prendre position sur des questions sociétales, comme l’égalité successorale, qui dérangent.
Béji Caïd Essebsi a osé affirmer que les Tunisiennes n’ont besoin d’aucune tutelle et ne sont surtout pas des citoyens de second ordre
Le président Béji Caïd Essebsi a osé. En pariant sur les Tunisiennes et en souhaitant les réintégrer dans leurs droits les plus larges, il a bien été le seul à aller aussi loin – 60 ans après Bourguiba. En lançant son initiative pour établir les égalités et les libertés individuelles, il affirme que les Tunisiennes n’ont besoin d’aucune tutelle et ne sont surtout pas des citoyens de second ordre, en s’appuyant sur la Constitution où l’égalité entre citoyens et citoyennes est clairement énoncée.
> Lire aussi : Tunisie : Radhia Haddad, « la présidente des femmes »
Les responsables politiques, qui dissertent avec aisance sur d’autres fondamentaux de la Constitution tels que la décentralisation ou le régime parlementaire, se gardent bien d’évoquer la condition des Tunisiennes. Pourtant, la loi fondamentale n’est pas fruit du hasard. Projection des ambitions d’un peuple, elle naît d’une réflexion au sein de l’hémicycle. L’exercice n’est pas anodin, il engage. Les élus, pour la plupart issus de partis présents à la Constituante, devraient connaître le contenu et le sens des articles adoptés. Cependant, face à la question des égalités, ils sont pour la plupart absents. Ils semblent ne pas avoir pris la mesure d’un changement. Les Tunisiennes n’attendent plus que l’État ou le législateur leur octroie des droits qui, dans le fond, leur reviennent. Elles travaillent à les obtenir et se battent avec détermination pour faire avancer les lois et la société. Elles ont obtenu qu’un violeur ne soit plus dédouané de son crime en épousant sa victime, elles peuvent disposer d’elles-mêmes et épouser l’homme de leur choix. Cela peut paraître négligeable, presque futile, mais c’est déjà énorme pour un pays du sud de la Méditerranée.
À l’aune du parcours des Tunisiennes, qui ont arraché haut la main le principe de parité sur les listes électorales en 2011, les dirigeants devraient réfléchir à l’oppression patriarcale qu’ils pratiquent dans la vie politique – sans doute à leur insu, comme par atavisme. Donner la parole et du leadership aux femmes, ne pas les cantonner aux rôles subalternes dans les instances des partis n’est pas évident pour certains, ce serait pourtant salutaire puisque « la Tunisie sera sauvée par ses femmes ». En l’état actuel du pays, il y a urgence… À moins que les Tunisiennes ne partent à la conquête du pouvoir pour elles seules ? Mais ce serait encore une fois tronquer le pays de la moitié de son humanité.
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