Tunisie : polémique sur la prolongation de l’état d’urgence
La présidence de la Tunisie a annoncé mardi la prolongation de l’état d’urgence pour sept mois supplémentaires. Certains parlementaires, qui se sentent exclus des débats relatifs à ce sujet, redoutent sa banalisation et appellent à un meilleur encadrement politique.
Le mardi 6 mars, deux déclarations pouvant paraître contradictoires ont été faites en parallèle par le gouvernement tunisien. D’une part, le Premier ministre Youssef Chahed, en visite à Ben Guerdane, ville frontalière avec la Libye, s’est félicité de la stabilisation de la situation sécuritaire ; d’autre part, la présidence a annoncé la prolongation de l’état d’urgence pour une durée de sept mois, jusqu’à la mi-octobre. Soit la prolongation la plus longue depuis la révolution en Tunisie.
Cette prolongation de sept mois confirme une banalisation de l’état d’urgence et sa normalisation
Cette annonce faisait suite à une réunion du Conseil national de sécurité, un organe restreint sous la houlette du président Béji Caïd Essebsi. Le président a indiqué avoir consulté le chef du gouvernement et le président du Parlement.
Incompréhension des parlementaires
Cette décision a néanmoins suscité l’incompréhension de plusieurs parlementaires. « Cette prolongation de sept mois confirme une banalisation de l’état d’urgence et sa normalisation », souligne le député Riadh Jaïdane, président du mouvement L’appel des Tunisiens à l’étranger.
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Par ailleurs, cette décision serait inconstitutionnelle, selon lui. En effet, l’article 49 de la Constitution précise que les limitations des droits et des libertés ne peuvent se faire que dans le cadre d’une loi, ce qui n’est pas encore le cas pour ce régime d’exception, toujours appliqué selon le décret de 1978.
De nouvelles justifications
Cette prolongation de l’état d’urgence se fonde en effet sur le décret du 26 janvier 1978, date de la première proclamation en Tunisie, pris par le président de l’époque, Habib Bourguiba. Une décision prise dans la foulée des affrontements entre autorités et protestataires, lors de la grève générale de 1978 lancée par l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
Selon le décret, ce régime d’exception peut être déclaré en cas de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou encore d’ « événements présentant par leur nature et leur gravité le caractère de calamité publique ».
Nous ne disposons d’aucune information précise sur les raisons qui motivent ces décisions de prolongation
D’abord utilisé pour répondre à des soulèvements populaires, ces dernières années, son application a été justifiée par « les dangers qui menacent le pays ». Par exemple, il est proclamé le 24 novembre 2015 à Tunis, suite à l’attentat contre un bus de la garde présidentielle.
Les parlementaires exclus des débats ?
Depuis, l’état d’urgence est en vigueur de manière continue et ce malgré l’amélioration de la situation sécuritaire. Pourtant, déjà en février 2015, le chef du gouvernement Youssef Chahed avait déclaré à la radio privée Mosaïque FM, que l’état d’urgence serait « levé définitivement dans trois mois ». Ce qui n’est donc toujours pas le cas.
« Si le recours à l’état d’urgence est aujourd’hui légitime à cause des menaces sécuritaires et l’instabilité en Libye, cette mesure doit être bien fondée juridiquement », argumente le député Riadh Jaïdane.
Pour moi, cela révèle l’absence de volonté politique d’encadrer cet état d’exception
« Il y a un réel besoin de transparence, les parlementaires sont exclus de ce débat sécuritaire. Nous ne disposons d’aucune information précise sur les raisons qui motivent ces décisions de prolongation et nous sommes donc dans l’incapacité d’évaluer les résultats de cet état d’exception en vigueur depuis plus de deux ans », affirme le député.
Vers un encadrement de l’état d’urgence ?
Pour remédier à ce vide juridique, Riadh Jaïdane est à la tête d’une initiative législative visant à réglementer l’état d’urgence, présentée depuis octobre 2016 à la commission parlementaire des droits et des libertés et des relations extérieures.
Selon le député, l’examen de cette proposition de loi est sans cesse relayé à plus tard. « Certaines propositions beaucoup plus récentes ont déjà été examinées. Pour moi, cela révèle l’absence de volonté politique d’encadrer cet état d’exception », affirme-t-il.
Cependant, lors de la dernière réunion de la commission, le mercredi 7 mars, elle s’est engagée à faire examiner cette loi dans les plus brefs délais. Une promesse à laquelle Riadh Jaïdane ne veut pas accorder trop de crédit.
Nawfel Jemmali, président de la commission, assure de son côté à Jeune Afrique que ce retard n’est dû qu’à un problème de manque de moyens qui contraint les membres à faire des choix en matière de priorité dans le traitement des propositions de loi. Il annonce également que lors de la fixation de l’agenda de la commission, le mercredi 14 mars, cette proposition sera discutée.
Cette proposition de loi instaure, entre autres, un contrôle parlementaire qui permettra de valider la décision de l’exécutif de décréter l’état d’urgence, mais aussi de surveiller par l’intermédiaire d’une cellule de vieille le risque de dérives autoritaires.
Une surveillance nécessaire selon le député, suite aux annonces alarmantes de plusieurs ONG. Dans un rapport publié en février 2017, Amnesty International dénonçait un « sinistre rappel du régime » de Zine el-Abidine Ben Ali, faisant état de « 23 cas de torture et mauvais traitements depuis janvier 2015 », de l’arrestation de « milliers de personnes » et de perquisitions souvent « en l’absence de mandat judiciaire ». « Au moins 5 000 » personnes se seraient également vues « interdire de voyager » depuis que l’état d’urgence a été réinstauré.
La proposition de loi inclut également un contrôle à posteriori, qui permettrait à l’Assemblée d’évaluer l’efficacité de l’état d’urgence.
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