Le lexique de l’inaction
Bien des organisations internationales sont passées maîtresses dans l’art du communiqué de presse attristé, soucieux, parfois indigné, au sujet de la résolution des crises qui secouent le continent. L’effet sur la stratégie des régimes répressifs ou des groupes armés est pourtant quasi nul.
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Mehdi Ba
Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.
Publié le 19 mars 2018 Lecture : 3 minutes.
Tribune. Quel est le point commun entre les récents attentats commis à Ouagadougou, la répression contre les marches pacifiques en RD Congo ou encore les débordements qui ont suivi la crise postélectorale au Burundi ? Eh bien, la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), Michaëlle Jean, les « condamne fermement ».
Ne reste à l’OIF qu’un dictionnaire des synonymes pour manifester sa réprobation
Comme tant d’autres organisations internationales parties prenantes dans la résolution des crises qui secouent le continent, l’OIF est passée maîtresse dans l’art du communiqué de presse attristé, soucieux, parfois indigné, dont l’effet sur la stratégie des régimes répressifs ou des groupes armés est quasi nul. Certes, l’OIF ne dispose ni d’une armée ni d’une véritable capacité de sanction. Ne lui reste donc qu’un dictionnaire des synonymes pour manifester sa réprobation.
Lorsque des victimes gisent à terre, elle le « condamne fermement ». Quand un président s’accroche au pouvoir, elle « regrette », elle « déplore », elle se dit « fortement préoccupée »… De Gao à Kinshasa et de Bujumbura à Lomé, on imagine la crainte qui doit saisir les intéressés à la lecture de ce lexique de l’impuissance !
Virtuose dans le maniement verbal ou adverbial
L’OIF n’a rien inventé. Championne hors catégorie de la diplomatie du langage, l’ONU est, de longue date, passée virtuose dans le maniement verbal ou adverbial. Ressuscitons, pour nous en convaincre, la résolution 2248 du Conseil de sécurité, adoptée le 12 novembre 2015, sur la crise postélectorale au Burundi. Sept mois plus tôt, tordant le bras aux accords d’Arusha, le président Pierre Nkurunziza avait officialisé sa candidature pour un troisième mandat, provoquant une grave crise politique et sociale.
À New York, la communauté internationale, unanime, désavoue alors ce passage en force. Fidèle à la marque de fabrique onusienne, la résolution 2248 débute par un cocktail de participes présents suivis d’explications diverses : « rappelant », « soulignant », « réaffirmant », « condamnant fermement », « se déclarant profondément préoccupé », « exhortant », « se déclarant à nouveau convaincu », « engageant instamment », « se félicitant », « prenant note ».
Force est de constater qu’on en reste aux verbes : « exhorte », « engage », « exprime », « se félicite »…
Puis on passe aux choses sérieuses, en l’occurrence les mesures prônées par le Conseil. Si le passage, à l’indicatif, est censé traduire une certaine fermeté, force est de constater qu’on en reste aux verbes : « exhorte », « engage », « exprime », « se félicite », « déclare », « souligne », « prie », « affirme ». En guise d’apothéose, le texte se conclut par une formule onusienne rituelle, qui révèle la modeste portée de ce lexique de l’inaction : le Conseil de sécurité « décide de rester activement saisi de la question » !
Deux ans et demi plus tard, Pierre Nkurunziza se prépare à faire modifier la Constitution burundaise, ce qui lui permettrait de briguer un quatrième mandat en 2020. L’opposition et la société civile, dont la quasi-totalité des troupes ont choisi le chemin de l’exil, pourront toujours se consoler en se disant que, à défaut d’agir, la communauté internationale reste « activement saisie de la question ».
Renfort en actes ?
Au registre des motifs de satisfaction, où quelques agissements épars viennent en renfort des mots, signalons tout de même – outre une poignée de sanctions ponctuelles, à l’efficacité relative – un succès emblématique sur un continent où l’Union africaine elle-même est aussi avare en actes qu’en déclarations d’intention : l’attitude énergique de la Cedeao, il y a un peu plus d’un an, face au satrape gambien Yahya Jammeh, qui refusait de reconnaître sa défaite dans les urnes. Il n’aura pas fallu deux mois à l’organisation régionale pour entamer une médiation, hausser le ton, accorder ses violons et passer à l’action – en menaçant d’une intervention armée bien réelle.
Dans le dictionnaire qu’ils compulsent frénétiquement pour préparer leurs futures « résolutions », les bureaucrates des organisations internationales constateront que ce mot n’a pas seulement pour signification « texte émis par une assemblée dans lequel ses membres expriment leur sentiment sur une question déterminée », mais aussi celle-ci : « acte par lequel, après réflexion, on décide volontairement d’accomplir quelque chose ».
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