Pour une refonte du système fiscal international
José Antonio Ocampo, président de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés fait des propositions à l’Union Européenne afin de remédier à la concurrence fiscale – créée par les multinationales – entre les pays et qui porte préjudice aux pays en développement.
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José Antonio Ocampo
Président de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés, ex-ministre des Finances de Colombie et ex-sous-secrétaire général des Nations unies pour les affaires économiques et sociales
Publié le 23 mars 2018 Lecture : 4 minutes.
Tribune. Deux ans après les révélations des « Panama Papers », la bombe des « Paradise Papers » a de nouveau provoqué l’indignation des citoyens, contraints de payer leurs impôts alors que de nombreux riches et les multinationales échappent à cette obligation, sans courir le moindre risque. L’Afrique à elle seule perd entre 30 et 60 milliards de dollars (entre 25 et 50 milliards d’euros) chaque année de cette façon. L’évasion fiscale est, à n’en plus douter, la face sombre de la mondialisation.
Le plus choquant pour les citoyens est de percevoir que les multinationales ne payent pas d’impôts de façon légale. Dans le système fiscal international actuel, chacune de leurs filiales est considérée comme une entreprise indépendante. Il suffit donc aux multinationales de fixer de manière totalement artificielle les prix des échanges entre leurs filiales pour garantir que les bénéfices soient enregistrés dans les pays où les impôts sont moins élevés, et non pas là où se font les activités économiques réelles et la création de valeur. Les économistes appellent cette manipulation le « système de prix de transfert ».
Course au moins disant
Le recours par les multinationales à ce tour de passe-passe exacerbe encore plus la concurrence fiscale entre les pays, incités à adopter des taux d’imposition toujours plus bas. Malheureusement, la réduction significative du taux d’imposition des sociétés adoptée par les États-Unis (de 35 à 21 %) va encore accentuer cette course au moins-disant.
En Inde, au Mexique, au Brésil et dans d’autres pays en développement, les responsables politiques ont déjà commencé à déclarer qu’ils devront suivre la tendance s’ils veulent rester compétitifs, attirer les investissements étrangers et créer (ou sauver) des emplois.
Les multinationales devraient cesser de menacer les gouvernements de quitter leur pays si leurs impôts ne sont pas réduits
Tous les pays ont le droit d’être compétitifs. Ils peuvent le faire de plusieurs façons, par exemple en développant de bons systèmes d’éducation ou en créant des infrastructures efficaces. Mais voler les recettes fiscales d’autres pays ne devrait pas être autorisé, et les multinationales devraient cesser de menacer les gouvernements de quitter leur pays si leurs impôts ne sont pas réduits.
C’est un chantage inacceptable : le premier principe fondamental de la responsabilité sociale des entreprises doit être que les entreprises paient leur juste part d’impôts dans les pays où elles sont à l’œuvre.
Refonte du système fiscal
Cette course au nivellement de la fiscalité vers le bas a des effets dévastateurs, en particulier dans les pays en développement, qui dépendent plus encore de l’impôt sur les sociétés. En Afrique, il représente entre 13 % et 18 % des recettes fiscales, contre 8,5 % dans les pays développés. Des rentrées fiscales inférieures signifient moins de financement pour l’éducation, les soins de santé, les programmes de réduction de la pauvreté, l’infrastructure et la lutte contre les changements climatiques.
Pour les pays en développement, il est maintenant clair que la réforme du système fiscal mondial proposée il y a près de trois ans par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 est loin d’être suffisante. Connu sous le nom de Projet BEPS (Érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices) ce projet constitue un pas important dans la bonne direction.
Les règles mondiales sont très préjudiciables aux pays en développement, puisque les principales multinationales viennent des pays riches
Il pousse notamment à la déclaration dans chaque pays des bénéfices et des impôts payés par les plus grandes multinationales, ainsi qu’à un échange d’informations entre les pays.
Mais le projet n’a pas réussi à résoudre le problème central, le système de prix de transfert lui-même. Il permet toujours aux entreprises de déclarer leurs bénéfices là où elles le souhaitent afin de profiter d’une fiscalité très avantageuse. En ce sens, ces règles mondiales sont très préjudiciables aux pays en développement, puisque les principales multinationales viennent des pays riches.
Nouvelle proposition
La Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés (ICRICT, selon le sigle en anglais), que je préside, a évalué les propositions alternatives à ce système dans un rapport récent. Il conclut que la solution la plus équitable et la plus efficace pour décider de la manière dont les bénéfices devraient être répartis – et taxés – est que les multinationales soient imposées en tant qu’entreprises uniques effectuant des transactions dans le monde entier, et non pas comme une myriade de filiales artificiellement indépendantes les unes des autres.
La répartition des bénéfices globaux et des impôts dépendrait ainsi de facteurs tels que les ventes, l’emploi et les ressources utilisées. Ces facteurs devraient être choisis en fonction de l’activité économique réelle des multinationales dans chaque pays. L’Union européenne étudie actuellement une proposition allant dans ce sens.
Les pays en développement ne peuvent pas attendre de l’OCDE, un club de pays riches, une solution qui soit juste pour leur développement
Bien entendu, dans ce système, les pays seraient encore en mesure de se faire concurrence en abaissant leur taux d’imposition des sociétés pour encourager les investissements ou la délocalisation des activités, comme ils le font actuellement. C’est pourquoi, dans notre proposition, les pays conviendraient également d’un taux minimal d’imposition des sociétés d’au moins 15 % à 25 %.
En attendant, les pays en développement, notamment en Afrique, ne doivent pas patienter les bras croisés. Ils doivent forcer le changement par le biais de la coopération régionale, en fixant par exemple un taux minimal d’imposition des sociétés dans leur région. Ils ne peuvent pas attendre de l’OCDE, un club de pays riches, une solution qui soit juste pour leur développement.
L’Organisation des Nations unies constitue, en réalité, le seul espace de discussion dans lequel tous les pays et leurs sociétés civiles peuvent débattre de la réforme du système fiscal mondial.
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