Zakary Chanou
Né au Bénin, il dirige l’une des premières conciergeries de luxe françaises. Sa vocation ? Satisfaire tous les caprices, fussent les plus farfelus, de ses très fortunés clients.
Dans le monde de Zakary Chanou, il y a des patrons du CAC 40 et des Américaines folles de Chanel. Il y a une villa à Ibiza, un jet privé, un yacht sur la Seine, des restaurants au chic discret et des suites dans les palaces parisiens. Mais il y a aussi les éléphants du parc national de la Pendjari et les maquis de Cotonou, où il n’a pas mis les pieds depuis quatre ans et demi pour cause de surmenage professionnel. C’est là qu’il est né, en février 1974. Là qu’il a appris le fon et le yorouba – qu’il n’a pas oubliés – et que vit sa mère, une figure connue et respectée du monde des affaires béninois. « Notre maman a toujours voulu l’excellence pour ses enfants », explique-t-il.
Plusieurs de ses six frères et soeurs ont tenté d’exaucer le voeu maternel en se lançant dans le commerce ou la finance. Toujours branché et tiré à quatre épingles, « Zak », comme le surnomment ses amis, a pour sa part choisi la « conciergerie de luxe ». En 2004, à Paris, il a créé sa propre entreprise, énigmatiquement baptisée UUU, acronyme censé signifier « Ultimate Luxury for You and Only You ». Il la dirige toujours aujourd’hui.
Vous êtes riche, de passage dans la capitale française pour le week-end et désireux d’assister à la finale de Roland-Garros ? UUU vous trouve sans problème une place, et dans une loge s’il vous plaît. Vous avez bêtement égaré le beau stylo « symbole-de-son-amour » que votre mari vous a offert ? UUU court les papeteries de France et, le cas échéant, de Navarre pour dénicher le même et, ni vu ni connu, réparer l’impair. Vous souhaitez reconquérir votre femme avec un voyage de rêve, mais manquez d’idées, de temps ou d’envie pour l’organiser ? UUU vous concocte un inoubliable séjour à Bali, avec dîner à bord d’un sous-marin et pêche au large. Votre fidélité n’est pas à toute épreuve ? Qu’importe, dans un mois ou dans un an, UUU vous préparera exactement le même programme à l’intention de votre maîtresse.
Bref, le business de Zakary Chanou, c’est de rendre à ses clients tous les services possibles et imaginables, n’importe où dans le monde. « Mais toujours avec le souci de l’art de vivre à la française et dans le respect de la légalité : ni drogue ni prostitution », insiste-t-il, d’une voix posée. On devine sa crainte d’être mal compris, de donner de lui-même et de son entreprise une image un peu vulgaire : « Pour moi, le luxe, ce n’est pas le clinquant, c’est ce qui est parfait. »
Le dépouillement de son bureau, dans le 1er arrondissement de Paris, témoigne de son goût pour la rigueur, auquel sa formation scientifique a sans doute contribué. Après dix ans dans une école jésuite, en France, où ses parents restés au Bénin l’expédient, comme le reste de sa fratrie, dès l’âge de 9 ans, il décroche en effet un bac C, puis une licence de chimie thermodynamique, avant d’intégrer l’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire (Isipca). Les effluves du luxe, déjà.
Si Zakary Chanou affiche une certaine austérité, ses 3 500 clients ne sont certes pas tous dans le même cas : il y a parmi eux des adeptes du « bling-bling ». Leurs noms ? Secret professionnel. Sachez qu’on y trouve des membres de l’équipe de France de football (il a préparé le voyage en jet de certains d’entre eux à Ibiza, au lendemain de leur défaite à l’Euro 2008), des piliers du palmarès Forbes des grandes fortunes, quelques stars hollywoodiennes, plusieurs (très) grandes entreprises, mais aussi beaucoup d’anonymes amateurs d’élitisme. Seuls 30 % d’entre eux sont Français. Les autres sont américains, russes, japonais, gabonais, etc.
Comment le projet UUU est-il né ? À l’époque, Chanou travaillait pour un fabricant de cosmétiques et de parfums haut de gamme. Il était chargé des relations avec les gros clients. Un jour, dans un trou perdu du Texas, il doit absolument dénicher un bon restaurant pour y convier une équipe de managers. Que faire ? C’est le majordome de son hôtel – une corporation qu’on ne trouve guère, en France, que dans les palaces – qui lui sauvera la mise.
Fils de négociants et titulaire d’un mastère d’école de commerce, il n’a aucun mal à mettre au point un business model pour sa future société. Ses clients ont deux possibilités : soit verser une cotisation annuelle de 800 euros, qui leur permet d’appeler UUU de 9 heures à 20 heures, en semaine ; soit, pour 4 800 euros, s’assurer, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, les services d’un « concierge » personnel attentif à leurs moindres désirs. À Paris, l’entreprise compte dix salariés à temps plein. Plus une soixantaine d’agents free lance à travers le monde, notamment au Maroc et en Afrique du Sud. Chacun est en contact avec un réseau de prestataires éprouvés ou recommandés.
Outre sa cotisation, le client verse le montant de la prestation (voyage, dîner au restaurant, etc.) à UUU, qui règle ensuite la facture au fournisseur, déduction faite d’une commission oscillant entre 5 % et 20 % du prix. Le chiffre d’affaires de l’entreprise progresse chaque année de 100 %, mais reste en deçà des espérances de son patron, raison pour laquelle, craignant d’être sous-valorisé par d’éventuels fonds d’investissement, celui-ci refuse d’en communiquer le montant. Reste que les finances sont à l’équilibre depuis 2006 et qu’une augmentation du capital (200 000 euros, actuellement) est prévue. Celui-ci est détenu à 75 % par Chanou et le reste par trois de ses amis, sans aucun concours bancaire. Parce que « les banquiers ont du mal à comprendre les entrepreneurs ».
En apparence, la vie du « superconcierge » est à l’image de son crâne rasé : parfaitement lisse. Célibataire sans enfant, il consacre à son entreprise le plus clair de son temps : lever à 7 h 30, coucher à 2 heures du matin, six jours sur sept. Quand il a le temps, il fait du sport (en salle) et lit un peu, mais « pas assez » pour se dire cultivé. Mais s’il cachait bien son jeu ?
Pour ses (nombreux) amis, « Zak » est en effet un infatigable fêtard doublé d’un baroudeur, toujours prêt à partir sac au dos, à dormir à la belle étoile ou à passer ses vacances dans une maison sans eau ni électricité. Il se fond dans tous les milieux, s’adapte à tous les codes. Comme Mathieu Kérékou, dont c’était l’animal fétiche, c’est un caméléon. Chanou ne regrette certes pas l’ancien président béninois, mais il reconnaît volontiers qu’il a épargné à son pays une tragédie « comme le Zimbabwe ou le Kenya en ont connu ». De l’Afrique, Chanou parle avec le recul de celui qui n’y vit pas et l’affection de celui qui y est né. « Un président non politique comme le Béninois Yayi Boni, c’est peut-être ce qu’il faut au continent », réfléchit-il. Celui-ci est en effet unÂÂ ancien banquier.
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