Vijay Mahajan : « L’Afrique est un marché aussi important que l’Inde ou la Chine »

Titulaire de la chaire de marketing de l’université d’Austin, au Texas, consultant pour des multinationales américaines, ce spécialiste d’origine indienne parie sur les consommateurs africains.

Publié le 2 septembre 2008 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : Vous publiez bientôt aux États-Unis un livre qui affirme que l’Afrique est un marché de 900 millions de consommateurs. Quel lectorat vise-t-il ?
Vijay Mahajan : La réponse est très simple. L’éditeur, Wharton School Publishing, ne publie qu’à l’intention des décideurs, dirigeants ou cadres supérieurs. Mon livre est en vente dans les librairies des business schools et des universités, mais aussi dans les aéroports, par exemple. C’est typiquement le genre d’ouvrage de travail que les hommes d’affaires peuvent lire en quelques heures, le temps d’un voyage en avion sur le territoire américain.

Qu’est-ce que vous leur apprenez ?
Je démontre que l’Afrique est un marché important et qu’il ne faut pas qu’il leur échappe. Aux États-Unis, et plus généralement en Occident, les médias ne parlent d’Afrique qu’en cas de désastre, de guerre ou d’épidémie. Ou alors il est question de pétrole, le plus souvent comme cause de conflit ou de malaise social. Les hommes d’affaires s’intéressent de près aux marchés chinois et indien alors qu’ils les ignoraient il y a seulement quelques années. Aujourd’hui, ils devraient s’intéresser à l’Afrique et aux opportunités de marchés qu’elle représente.

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Comment vous-même vous en êtes-vous convaincu ?
Il y a quatre ans, quand j’ai commencé à réfléchir à ce livre, j’ai constaté que le PIB par habitant de l’Afrique est plus élevé d’environ 200 dollars que celui de l’Inde. Que douze pays africains présentent un PIB par habitant plus grand que celui de la Chine. Plus important que celui de l’Inde pour vingt pays. Bien sûr, je suis conscient que l’Afrique est un continent, pas un pays. Mais si on s’en tient à ces seuls chiffres, je ne vois pas pourquoi les gens s’intéressent à l’Inde et à la Chine en tant que marchés et à l’Afrique seulement en tant que réceptacle de l’aide internationale.

Mais ces données sont accessibles à tout le monde…
Ce sont elles qui m’ont convaincu d’aller plus loin. Quand les gens parlent des autres marchés, ils ont les arguments pour appuyer leurs dires, notamment pour parler d’une classe moyenne émergente et de son appétit de consommer. Il fallait vérifier si cela pouvait s’appliquer à l’Afrique. J’ai beaucoup lu, j’ai contacté des entreprises internationales pour qu’elles me parlent de l’Afrique, je suis allé à la Banque mondiale, au Corporate Council on Africa. Et tout ce que j’ai entendu ne me suffisait pas. En 2006, j’ai décidé d’aller voir sur place. J’ai ensuite fait des séjours qui duraient une à deux semaines chacun.

Combien de pays ?
Au total, j’ai pu faire mon travail dans 12 pays. Je ne retiens que ceux où j’ai vraiment pu rencontrer des entrepreneurs, des multinationales, des consommateurs, afin de recueillir des informations et les croiser pour écrire mon livre. Dans chaque cas, j’ai rencontré les acteurs du marché, le secteur privé, international ou local. Je ne tiens pas compte de ce qu’ont pu me dire les autorités et les institutions. Parmi ces pays figurent l’Algérie, le Maroc, la Tunisie et le Sénégal pour l’Afrique francophone. Je suis également allé au Nigeria, parce que c’est le plus grand marché, mais aussi en Afrique du Sud, en Égypte, à Maurice, au Kenya, en Tanzanie…

Vous avez procédé à une segmentation du marché africain. Laquelle et pourquoi ?
C’est la base de tout travail de marketing. Au fur et à mesure de mes voyages, en discutant avec des agences de publicité ou avec le département d’études de marché de grandes entreprises comme Diageo, Unilever ou Coca-Cola, j’ai réalisé que tous ces professionnels découpaient le marché de la même manière, en cinq catégories (de A à E). Même si les niveaux de vie varient en fonction des pays, il y a d’importantes similarités. A et B sont les Africains les plus fortunés, les chefs d’entreprise, les hauts fonctionnaires. La catégorie qui me paraît la plus porteuse, la plus excitante, est la catégorie C. C’est pour elle que les publicitaires travaillent, que les entreprises de distribution ouvrent de nouveaux magasins…

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Quelles sont ses caractéristiques, sa taille ?
Elle regroupe 35 % à 50 % de la population, soit un marché de 350 à 500 millions de consommateurs. Ils ont en commun d’aspirer à une vie meilleure et d’avoir une vision optimiste de l’avenir. Ils sont particulièrement attirés par la nouveauté et la technologie, ce qui explique en grande partie le succès du téléphone mobile. Pour résumer, cette catégorie socioprofessionnelle présente les mêmes caractéristiques que ses homologues en Chine et en Inde. Et une taille similaire.

Mais on ne peut pas la traiter comme un tout. Il y a 53 pays, de dimensions et de niveaux de vie différents…
C’est un faux problème. De telles disparités se retrouvent dans les autres régions en développement, y compris en Inde et en Chine, et les entreprises internationales savent les gérer. C’est vrai qu’en Afrique il y a plusieurs petits pays, avec quelques millions d’habitants seulement. Mais le problème s’est posé de la même façon en Asie avec Singapour ou en Europe avec Chypre. Et les multinationales ont su les englober dans leur stratégie. C’est d’ailleurs déjà le cas en Afrique avec le principe du One Network mis en place par Zain. Vous pouvez être certain que Zain fait des économies d’échelle avec ce système. J’ajoute que certains pays, comme l’Afrique du Sud et le Maroc, peuvent servir de hub pour conquérir les voisins. Beaucoup de sociétés ont conquis l’Asie à partir de Singapour il y a plusieurs années.

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À l’inverse, le marché africain présente-t-il des différences qui feraient sa force ?
Héritage de son passé colonial, mais aussi de son histoire propre, l’Afrique présente une très grande diversité culturelle. Elle compose un marché très cosmopolite ; ce qui fait sa force. Les gens sont ouverts, prêts à communiquer avec tout le monde dans leur propre langue, mais aussi en français, anglais, portugais, parfois en allemand… Autre caractéristique importante, que l’on retrouve aussi en Inde et en Chine, c’est le soutien de la diaspora. Les émigrés sont aussi des consommateurs locaux, non seulement quand ils reviennent au pays, d’ailleurs dans des proportions importantes, mais parce qu’ils contribuent au chiffre d’affaires des opérateurs de télécoms ou à celui des banques, par exemple.

Que répondez-vous à ceux qui vous disent que le marché africain est inaccessible parce qu’il est mal organisé, sous-développé ?
Qu’il est mieux organisé qu’ils ne le pensent. Il y a déjà des acteurs importants, et ils participent à sa structuration. L’implantation du sud-coréen LG au Maroc, par exemple, a vraiment insufflé un nouveau dynamisme aux ventes d’électronique grand public, qui étaient auparavant du ressort d’importateurs et de revendeurs. J’ai constaté le même mouvement en Algérie et en Tunisie. Les multinationales s’implantent et commencent à organiser le marché. J’ai rencontré les responsables du groupe d’agroalimentaire Bel en Algérie et j’ai constaté leurs efforts pour se développer. Je fais le même constat avec de nombreux groupes locaux, comme les limonadiers Hamoud Boualem en Algérie et la SNBG en Tunisie, ou encore Hanouty dans la distribution et Azbane dans les cosmétiques au Maroc.

Si l’on ne devait retenir qu’un seul argument, quel serait-il ?
L’Afrique est un marché de 900 millions de consommateurs que les entreprises occidentales ne connaissent pas, alors qu’il est leur meilleure chance, pour ne pas dire la dernière, de maintenir leurs objectifs de croissance. C’est un marché énorme, aussi important que la Chine et l’Inde. Il est largement sous-estimé.

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