Ce jour-là : le 15 mars 1992, le Congo adopte par référendum sa première Constitution post-ère socialiste
Le 15 mars 1992, le peuple congolais adopte par référendum sa sixième Constitution. Le nouveau texte permet au pays de tourner la page de la période marxiste de parti unique.
Ce dimanche 15 mars 1992, la grande majorité de la population des deux grandes villes du pays, Brazzaville, capitale politique, et Pointe-Noire, la capitale économique, se presse dans les bureaux de vote. Dès le matin, certains électeurs dépourvus de cartes font même la queue sous le soleil devant les différents centres dans l’espoir de pouvoir participer au premier scrutin libre depuis la fin de la présidence d’Alphonse Massamba-Débat en 1968.
Il s’agit d’entériner la nouvelle Constitution adoptée en décembre 1991 par le Conseil supérieur de la République. Le Parlement de transition, qui remplace l’Assemblée nationale populaire, est présidé par le charismatique Mgr Ernest Kombo, évêque d’Owando. Initialement prévu fin décembre, le vote référendaire a subi de nombreux reports. L’apprentissage de la démocratie s’avère difficile. Les partis d’opposition critiquent le manque de sérieux des opérations de recensement de la population, le peu de fiabilité des listes électorales et l’insuffisance de cartes électorales par ailleurs « distribuées de façon sélective » (Jeune Afrique n°1626 du 5-11 mars 1992, p.9). Soixante-dix partis menacent de boycotter le scrutin avant de se raviser finalement.
Le régime de parti unique a été aboli deux ans auparavant, le 30 septembre 1990, peu après le discours historique prononcé par le président français François Mitterrand lors du sommet France-Afrique de La Baule, le 20 juin 1990. Désormais, plus besoin d’être membre du Parti congolais du travail (PCT), formation du président Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 1979, pour accéder aux mandats électifs, notamment la magistrature suprême.
La période de transition démocratique qui s’ouvre a été marquée notamment par les quatre mois de débats de la Conférence nationale souveraine, qui s’est étalée de février à juin 1991. Quatre mois de psychothérapie collective, afin de solder le passif de la courte mais déjà sanglante histoire politique du Congo indépendant. La conférence se conclut avec l’abolition de la précédente Constitution de 1979, et l’adoption d’un Acte fondamental régissant le fonctionnement de l’État pendant la période de transition, prévue pour s’achever en juin 1992.
Tensions avec l’armée
Le Premier ministre de transition, André Milongo, et son gouvernement ont à cœur de « dé-PCTiser » toute l’administration. Des nominations et promotions de responsables jugés plus favorables au nouveau pouvoir interviennent dans tous les principaux corps administratifs. Des mouvements sociaux s’ensuivent dans la plupart des administrations, y compris dans l’armée.
Dès le début de la Conférence nationale, l’institution militaire, en la personne du général Jean-Marie Michel Mokoko, chef d’état-major des forces armées congolaises (FAC), s’était engagée à soutenir le processus de démocratisation. Ce dernier estime que l’armée « ne doit plus servir un parti ou des individus » mais les institutions auxquelles elle prête serment de loyauté. Le général promet qu’elle ne s’ingérera plus dans les affaires politiques (Jeune Afrique n°1621 du 30 janvier au 5 février 1992, p.21).
Dès juin 1991, Brazzaville bruisse de rumeurs de coups d’État
Toutefois les autorités de transition se montrent méfiantes envers la troupe héritée de l’ancien régime, l’armée populaire nationale, extrêmement politisée. De plus, le Congo renoue avec le vieux démon d’un tribalisme qui n’ose dire son nom, puisque les officiers sont essentiellement issus des tribus du Nord du pays et du Nibolek (départements du Niari, de la Bouenza et de la Lekoumou, au sud ouest de pays) alors que les membres du gouvernement de transition sont pour l’essentiel du Sud.
Dès juin 1991, Brazzaville bruisse de rumeurs de coups d’État. L’entourage du Premier ministre cherche à en faire porter la responsabilité à l’armée, soupçonnée de vouloir rétablir le régime du parti unique. Il est cependant désavoué plus tard, en janvier 1992, par un rapport d’enquête parlementaire. Dans leurs conclusions, les députés issus de l’ancienne coalition favorable au Premier ministre, accusent au contraire plusieurs membres du gouvernement d’avoir comploté contre les FAC et le général Mokoko (Jeune Afrique n°1622 du 6-12 février 1992, p.32-33).
Parallèlement, le gouvernement Milongo procède à des nominations et promotions visant à « purger » l’armée de ses éléments jugés fidèles au PCT. Au mois de janvier l’armée sort des casernes en signe de protestation et exige le remplacement du secrétaire d’Etat à la défense, l’ex-colonel Michel Ngangouo, le réexamen des nominations et affectations jugées « non conformes aux règles militaires », ainsi que le règlement de leurs arriérés de solde (3 mois). Le bras de fer se poursuit autour de la tenue des États généraux de l’armée, qui interviennent finalement au mois de février. À l’issue de ces assises, l’armée décide que le gouvernement ne pourra plus ni promouvoir ni nommer qui que ce soit, jusqu’à la fin de la période de transition (Jeune Afrique n°1629 du 26 mars-1er avril 1992, p.27).
Pourtant en position de force, le général Mokoko refuse de saisir le pouvoir par les armes. « L’ère des coups d’État est révolue. Comment les populations l’accepteraient encore dans le bouillonnement d’idées que nous connaissons actuellement ? », confie-t-il à ses officiers (Jeune Afrique n°1621 du 30 janvier au 5 février 1992, p.22). Au milieu de cette dangereuse agitation, Monseigneur Ernest Kombo, président du Parlement de transition, s’évertue à calmer le jeu et à apaiser les tensions entre les différents acteurs.
Le Congo débarrassé des oripeaux du socialisme
C’est ainsi que le 5 mars, l’espoir et l’enthousiasme soulevés par l’ouverture et le vent de liberté qui a soufflé depuis le début de la période de transition, n’est pas encore retombé. L’issue du vote référendaire ne fait quant à lui quasiment aucun doute puisque toutes les principales formations politiques, fondées bien souvent sur des bases ethniques, le MCDDI (Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral) de Bernard Kolelas, l’UDR-Mwinda (Union pour la démocratie et la République) du Premier ministre André Milongo, l’UPADS (Union panafricaine pour la démocratie sociale) de Pascal Lissouba, le RDPS (Rassemblement démocratique pour le progrès social) de Jean-Pierre Thystère-Tchicaya et même le PCT du président Denis Sassou Nguesso ont appelé à voter en faveur du « oui ».
Chacun a battu campagne sur le terrain afin de convaincre les électeurs des avantages du nouveau texte. Une rare et éphémère unité anime la classe politique. « Pour l’heure, il nous faut un consensus national sur ce qui constitue le soubassement de tout l’édifice démocratique en construction : la loi fondamentale. Nous devons dépasser nos divergences et nos querelles pour doter notre pays d’une Constitution qui fonde notre engagement irréversible pour le renouveau démocratique. La Constitution n’appartient à aucun clan, à aucun parti. Elle est à mettre au-dessus de la mêlée », déclare le président Denis Sassou Nguesso à la veille du scrutin (Jeune Afrique n°1628 du 19-25 mars 1992, p.9).
Dans une atmosphère de liesse populaire, les Congolais se rendent donc massivement aux urnes. On parle d’un taux de participation de 70 %. Le vote se déroule paisiblement sur toute l’étendue du territoire national. Jeune Afrique mentionne « quelques incidents mineurs devant certains bureaux de vote de la région du Pool ou, dans le Nord, à Kelle, lorsque des électeurs ont été empêchés de voter parce qu’ils ne figuraient pas sur les listes électorales. Ou quand, mal informés, ils ont rechigné à voir leur main ‘tamponnée à l’encre indélébile’, craignant que cette ‘encre ne s’en aille plus’ « (Jeune Afrique n°1628 du 19-25 mars 1992, p.9). Quelques jours plus tard, les résultats sont proclamés. Le « oui » l’emporte sans surprise à 96 %.
Le texte adopté marque un tournant dans l’histoire du Congo
La commission spéciale de supervision des élections (Commissel) relève cependant de nombreuses carences comme « l’existence de nombreuses cartes ‘flottantes’ (qui permettent de voter et de re-voter n’importe où) ; l’établissement d’un nombre incalculable de cartes d’électeur aux étrangers et mineurs ; (le) dépouillement des résultats de vote hors des lieux de vote ; le manque de lumière dans la plupart des bureaux de vote ; les faux bulletins de vote » (Jeune Afrique n°1631 du 9-15 avril 1992, p.24). Le ministre de l’Intérieur, Alexis Gabou est particulièrement visé.
Le texte adopté marque un tournant dans l’histoire du Congo. La sixième Constitution du Congo-Brazzaville instaure un régime semi-présidentiel, inspiré de la Ve République française. Le pays reprend ses symboles post-indépendance : la République populaire du Congo est rebaptisée République du Congo, troque son drapeau rouge frappé du marteau et de la faucille pour son drapeau vert-jaune-rouge originel, et change son hymne national. Les « Trois glorieuses », l’hymne de la période marxiste, cède la place à « La Congolaise », l’hymne national post-indépendance.
La nouvelle loi fondamentale comporte des verrous juridiques, dans son article 178, excluant notamment la possibilité de réviser la Constitution pour toucher à la limitation des mandats présidentiels (2 x 7 ans), à la « forme républicaine » de l’État ou encore « la réduction ou l’abolition des droits et libertés fondamentaux ». Des dispositions jugées essentielles afin d’empêcher tout retour au régime politique antérieur. La page de la période « rouge » est définitivement tournée.
Premières alertes
Le scrutin suivant, les élections municipales organisées au mois de mai 1992, laissent apparaître de profondes divisions du corps électoral sur une base régionaliste. L’Upads l’emporte dans le « Nibolek », le RDPS arrive en tête à Pointe-Noire et le MCDDI s’impose dans la région du Pool. Entaché de nouvelles irrégularités, le scrutin local ouvre la voie à une montée des tensions politiques. Le CSR réclame un remaniement ministériel et notamment la démission du ministre de l’intérieur, Alexis Gabou. Le 19 mai, plusieurs responsables de partis vont jusqu’à appeler à la guerre civile sur les ondes de la radio (Jeune Afrique n°1638 du 23 mai-3 juin 1992, p.8). Le changement de gouvernement intervient le 21 mai et permet d’éviter le spectre de la guerre civile. Mais pour quelques temps seulement…
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