Mali : « Les populations de Gao sont dans une logique d’autodéfense »
Deux ans après la signature de l’accord de paix entre les mouvements armés et le gouvernement, les tensions s’enveniment entre les différentes communautés vivant à Gao. Le sentiment d’insécurité, la crise économique et les rivalités avec les autorités intérimaires en sont les raisons principales, analyse Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études en sécurité (ISS).
Près de deux ans après la signature de l’accord de paix entre les mouvements armés et le gouvernement malien, en juin 2015, de fortes tensions intercommunautaires ressurgissent périodiquement dans la ville de Gao. Dernier épisode en date, entre fin février et début mars, des pêcheurs du village de Taboye, dans la région de Gao, ont retrouvé les corps de deux jeunes Arabes flottant sur le fleuve Niger. Pendant plus de deux semaines, la tension était à son comble entre la communauté songhaï, soupçonnée de ce crime, et la communauté arabe dont étaient issus les deux jeunes hommes.
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Les précédents à cette crise sont nombreux. En 2016 déjà, une foule avait lynché deux autres jeunes arabes sous les yeux de soldats maliens qui n’étaient pas intervenus. En 2017, la ville de Gao avait encore vibré lorsqu’un commerçant arabe avait cassé la main d’un transporteur songhaï au marché de la ville.
Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études en sécurité (ISS) de Bamako, lui-même originaire de la région de Gao, analyse pour Jeune Afrique les causes profondes de ces tensions récurrentes.
Jeune Afrique : Quelles sont les raisons de cette nouvelle montée des tensions entre les communautés de Gao ?
Ibrahim Maïga : Cela est dû à une accumulation de frustrations liées à la situation sécuritaire et économique qui prévaut à Gao. Les activités économiques légales sont à l’arrêt dans la ville à cause de l’insécurité. Les commerçants [de la communauté songhaï, ndlr] qui acheminaient des produits et du matériel venant du Sud ne peuvent plus le faire. Les éleveurs ne peuvent plus sortir de Gao pour visiter leurs troupeaux, les transporteurs ne peuvent plus travailler…
La moindre étincelle peut embraser la ville
À Gao, la plupart des gens qui peuvent subvenir convenablement aux besoins de leur famille sont ceux qui travaillent pour la Minusma [la mission de l’ONU au Mali, ndlr] et ceux qui trempent dans des trafics en tout genre. Cela crée un déséquilibre économique et une forme d’impuissance au sein de la grande majorité de la population. La moindre étincelle peut donc embraser la ville.
Malgré l’accord de paix, certaines personnes semblent pourtant tirer les ficelles dans l’ombre…
La réalité est que des responsables de la ville de Gao sont frustrés par l’application de l’accord de paix, et surtout par le fait qu’ils ont perdu leurs prérogatives suite à l’installation des autorités intérimaires. Ces gens-là essaient de provoquer des situations dans lesquelles ils peuvent jouer un rôle. Si l’on se réfère à la période de l’occupation, en 2012, les jeunes qui ont alors opposé une résistance aux occupants de Gao et ceux qui prennent part aujourd’hui aux manifestations sont les mêmes.
La diaspora de Gao en France ou en Arabie saoudite, qui tire les ficelles via les réseaux sociaux, veut aussi jouer un rôle
Il y aussi la diaspora de Gao en France ou en Arabie saoudite, rassemblée dans le Mouvement Gao Lama Borey [Mouvement de Gao et ses environs, ndlr], qui tire les ficelles via les réseaux sociaux et veut jouer un rôle.
Y a-t-il des rivalités au sein même de la communauté songhaï de Gao ?
Oui ! Et ces rivalités aboutissent justement à ces pics de tension dans la ville. Ces jeunes qui s’étaient opposés à l’occupation de Gao en 2012 ne sont pas pris en compte dans le mécanisme découlant de l’accord de paix. Ils ont pourtant une légitimité plus importante que celle des mouvements armés songhaï, comme le Ganda Koy ou Ganda Izo, qui, eux, sont associés à l’accord de paix.
La justice malienne ne bénéficie d’aucun crédit de la part de la population, et cela alimente les tensions
Souvent, il arrive même d’entendre de la bouche de ces jeunes que les mouvements qui discutent autour de la table ne représentent pas Gao.
Que fait la justice pour apaiser ces tensions ?
La justice malienne ne bénéficie d’aucun crédit de la part de la population, et cela alimente justement les tensions. Quand il y a eu des accusations après des faits graves, comme l’assassinat de deux jeunes dans le village de Taboye, il fallait ouvrir rapidement une enquête. Et une fois les responsabilités situées, il fallait appliquer la loi.
Mais dans les faits, si une affaire implique des personnes appartenant à des groupes alliés au gouvernement, l’État déclare, dans la plupart des cas, qu’il n’a pas les moyens d’éclaircir la situation, alors qu’en réalité il n’en a pas la volonté. La raison est simple : si la justice passe, l’État risque de contrarier ses alliés, ce qu’il ne veut pas faire en cette période pré-électorale.
Quels rapports entretiennent l’État et les populations de Gao ?
À Gao, l’État, en tant qu’acteur neutre assurant la justice et fournissant les services sociaux de base, n’existe pas vraiment. Et ses représentants ne bénéficient pas de beaucoup de crédit aux yeux de la population. Par exemple, des jeunes disent souvent : « Le préfet qui me demande de me calmer, où était-il quand la ville a été occupée ? » La population ne compte plus sur l’État pour défendre ses intérêts.
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À Gao, si quelqu’un veut retrouver sa voiture volée, il ne s’adresse pas à la police mais plutôt à des personnes bien introduites dans les mouvements armés.
Les populations de Gao sont dans une logique d’autodéfense. Les organisations des jeunes de la société civile ont même créé la Fédération des organisations de résistance civile de Gao (Force – G) pour défendre leurs intérêts.
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