Souaré, cent jours après…

Depuis sa nomination, le 20 mai dernier, le Premier ministre fait face à une situation critique. Réussira-t-il à remettre le pays sur les rails malgré la crise de confiance au sommet de l’État ?

Publié le 2 septembre 2008 Lecture : 4 minutes.

« Les défis à relever sont certes immenses, et notre gouvernement n’a pas la prétention de les relever tous, et tout de suite. » Plus qu’hier, ces mots d’Ahmed Tidiane Souaré, prononcés le 19 juin dernier à l’annonce de la composition de son gouvernement (intervenue quatre semaines après sa nomination, en remplacement de Lansana Kouyaté, voir J.A. n° 2477), sonnent comme un appel à la patience. Peut-être aussi à la tolérance. En fait, le Premier ministre tarde à imprimer sa marque. « On ne l’entend pas. On ne le voit pas. On oublie même parfois qu’il existe », commente-t-on dans les rues de Conakry. Souaré est-il l’homme de la situation ? Cent jours après son installation, la question est sur toutes les lèvres. Car, malgré quelques actes significatifs, la Guinée n’a pas l’air de sortir du gouffre.
Depuis son arrivée à la primature, Souaré a dû affronter plusieurs crises. Mutinerie de l’armée, débrayage des policiers, des enseignants puis des médecins, fraudes aux examens scolairesÂÂ et il ne semble pas au bout de ses peines. La menace d’une nouvelle grève générale à l’appel de l’intercentrale syndicale CNTG-USTG, à l’origine des mouvements de protestation de janvier et de février 2007, plane toujours. Après une première rencontre à la mi-août, les leaders syndicaux et le Premier ministre se reverront début septembre. « Nous apprécions la récente décision du gouvernement de subventionner certains produits de première nécessité comme le riz, dont le prix du sac de 50 kg est passé de plus de 200 000 à 165 000 francs guinéens (FG), déclare Hadja Rabiatou Serah Diallo, la secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG), mais il reste encore beaucoup à faire pour améliorer le sort des Guinéens. » L’accès à l’eau, à l’électricité et aux soins de santé reste très difficile. Et la hausse des prix n’est pas maîtrisée : le taux d’inflation – stabilisé autour de 10 % sous Kouyaté – atteint aujourd’hui 18 %.
Autre dossier délicat sur le bureau de Souaré, celui des élections législatives. Un deuxième report du démarrage des inscriptions sur les listes électorales (annoncé pour le 15 juillet, voir J.A. n° 2478) remet en cause leur tenue avant la fin de 2008. Malgré un apport supplémentaire du gouvernement de 15 milliards de FG, le budget présente toujours un déficit de quelque 25 milliards de FG sur un montant global de 150 milliards. Et les difficultés financières ne sont pas le seul obstacle à l’organisation de ces consultations. Le recensement, supposé débuter le 28 août, doit se poursuivre jusqu’au 28 octobre alors que la date du vote n’a pas encore été fixée par le chef de l’État, qui, selon les textes, doit le faire ­soixante-dix jours avant le scrutin. En plus, selon le chargé de la communication de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Cheikh Fantamady Condé, « les opérations pourraient être perturbées par les fortes pluies et le ramadan ». Dans ces conditions, il y a évidemment peu de chances que le Premier ministre tienne les délais des législatives. Par ailleurs, alors qu’il doit faire face à de nombreuses urgences, ni lui ni ses ministres n’avaient encore formé leur cabinet à la fin août. Ce retard serait dû à la demande des organisations féminines de Guinée d’intégrer des femmes dans tous les départements. La requête aurait contraint les ministres à revoir leurs propositions. Le gouvernement ne compte en effet que 4 femmes pour 36 hommes.

Coup de balai dans la police
Mais tout ne semble pas perdu pour autant. Malgré les retards accumulés, Souaré et ses hommes viennent de ­prendre une nouvelle décision concrète. Le 22 août, le ministre de la Sécurité, Mohamed Damba, a procédé à un profond réaménagement au sein de la police. Cette opération a été marquée par le départ de nombreux cadres de haut niveau. La mesure, intervenue dans un contexte de forte recrudescence du banditisme, semble avoir été bien accueillie par la population. Et puis, sur le plan politique, Souaré est tout de même celui qui aura permis, pour la première fois, de faire entrer l’opposition au gouvernement. S’il est vrai que deux formations importantes – le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé et l’Union des forces républicaines (UFR) de l’ancien Premier ministre Sidya Touré – ont décliné l’offre, ce geste à l’endroit des adversaires du chef de l’État constitue néanmoins un signal fort à l’intention des Guinéens et de la communauté internationale, qui attendaient des signes d’ouverture démocratique. Autre fait inédit, la tenue à Conakry, du 12 au 14 août, des Journées nationales de dialogue et d’initiatives. Organisées sous l’impulsion des Nations unies, elles ont permis des échanges directs entre l’État, la société civile, les syndicats, l’arméeÂÂ Ceux-ci ont débouché sur une déclaration dont les recommandations, selon Souaré, seront prises en compte. Quelques jours plus tard, les ministres étaient invités à participer à une formation en management et communication, financée par la coopération américaine. Certains y voient une volonté du Premier ministre de constituer une équipe suffisamment outillée pour insuffler un nouveau mode de gestion du pays. Reste à savoir si ce sera suffisant pour lui permettre de s’inscrire parmi les artisans du changement et, surtout, s’il pourra surmonter la crise de confiance qui prévaut au sommet de l’État, crise exacerbée par l’affaire des « vrais-faux décrets présidentiels » (voir J.A. n° 2483-2484). Une affaire qui a d’ailleurs nécessité l’intervention du chef de l’État : le 12 août, dans un courrier adressé aux présidents des institutions républicaines, au Premier ministre et aux chefs de département, Lansana Conté a dénoncé les falsifications de décrets « pouvant entraîner la promotion de cadres ou d’agents véreux non qualifiés ». Dans une interview à J.A. peu après sa nomination, Ahmed Tidiane Souaré déclarait : « Je suis l’homme du président de la République, je suis l’homme des syndicats, je suis l’homme des Guinéens. » Pour combien de temps encore ?

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