Tunisie : l’« impunité policière » sous le feu des associations
Plusieurs ONG ont appelé mardi le gouvernement tunisien à se dresser contre les pratiques policières portant atteinte aux droits de l’homme. Alors que des plaintes pour torture sont toujours enregistrées dans le pays, depuis la révolution, une seule condamnation a été prononcée, le 25 mars 2011, à l’encontre de quatre agents.
« Mettre un terme à la perpétuation de l’impunité […] dont bénéficient souvent les forces de sécurité tunisiennes ». Tel est le signal fort envoyé au gouvernement tunisien mardi 13 mars, par une lettre ouverte signée par quinze organisations tunisiennes et internationales de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International, la Ligue des droits de l’Homme, Human Rights Watch ou encore l’Organisation mondiale contre la torture.
Dans leur lettre, celles-ci appellent le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur et de la Justice à veiller à ce que toutes les plaintes pour torture, déposées contre des forces de sécurité, « donnent immédiatement lieu à une enquête impartiale », et que les auteurs « se voient imposer des peines à la mesure de la gravité de leurs actes ».
Selon ces organisations, presque aucune plainte de ce type n’a ainsi abouti à un procès, en dépit de la fin de l’ère Zine el-Abidine Ben Ali en 2011. Seuls quatre agents ont été condamnés le 25 mars 2011, pour une affaire remontant à 2004, déplorent les ONG.
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L’affaire du 26 février au tribunal de Ben Arous
Cette lettre ouverte fait suite à une manifestation de policiers en uniforme devant et dans l’enceinte du tribunal de Ben Arous, le 26 février dernier, dans la banlieue sud de la capitale tunisienne. Ceux-ci étaient venus soutenir cinq de leurs confrères qui devaient être interrogés par le parquet, après avoir été accusés de torture par un prévenu.
Ces policiers – dont certains étaient armés – avaient alors bloqué l’entrée du tribunal aux avocats, tandis que d’autres avaient encerclé le lieu avec leurs véhicules de fonction.
Ce qui s’est passé récemment au tribunal de Ben Arous montre la prévalence de l’impunité en Tunisie, écrivent ces associations
Le syndicat de la sécurité républicaine avait alors qualifié ces événements comme étant un « piège tendu pour envenimer les relations entre le pouvoir judiciaire et les corps de sécurité ». Il avait également estimé que l’arrestation de ces cinq membres de la sécurité « s’est effectuée sous la pression de certains lobbies de la corruption, du terrorisme et de l’intimidation ».
Le Syndicat des fonctionnaires de la direction générale de la sécurité publique (SFDGSP) assure en effet dans un communiqué publié le 26 février que ce prévenu serait en réalité l’un des éléments terroristes responsables de l’assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février 2013, et de Mohamed Brahmi, le 25 juillet de cette même année.
Le syndicat dément également toute responsabilité des agents de sécurité dans les blessures de l’homme : selon leur communiqué, il se serait lui-même délibérément blessé en cassant la vitre de l’une des fenêtres de la salle d’interrogatoire du poste de police d’Hammam Lif.
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Une version que réfute Saida Mbarek, membre de l’Instance nationale pour la prévention de la torture (INPT), signataire de cet appel lancé au gouvernement. C’est en effet elle qui a effectué la visite d’inspection le 23 février au tribunal de Ben Arous, après avoir reçu une notification d’une suspicion de torture sur un détenu de ce poste de police. Contactée par Jeune Afrique, elle affirme que ces accusations de terrorisme sont une manière « d’influencer l’opinion publique, en rattachant cette affaire à deux crimes qui ont profondément marqué l’esprit des Tunisiens ».
Le plaignant aurait été menotté et agressé par les agents de sécurité
Elle assure que l’homme a été arrêté dans une affaire de droit commun et que celui-ci a bien été torturé par les agents. D’après le rapport de l’INPT, le plaignant rapporte ainsi avoir été menotté et agressé par les agents. Au cours d’une chute à terre, il aurait effectivement cassé une vitre, se blessant au niveau de la main droite. Les policiers l’auraient ensuite emmené dans un hangar, lui auraient mis une roue en caoutchouc sur les épaules et l’auraient pulvérisé de gaz. Selon l’INPT, qui a publié des photos sur Facebook, le rapport du médecin révèle des séquelles au niveau de son bras, des hématomes sur son visage et de nombreuses traces de sang.
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Une affaire symptomatique
Une « impunité » parmi d’autres que dénoncent aujourd’hui ces différentes organisations. « Nous considérons que ce qui s’est passé récemment au tribunal de Ben Arous montre la prévalence de l’impunité en Tunisie », affirment ainsi ces associations. Celles-ci déplorent l’intention du gouvernement « de perpétuer l’impunité dont jouissent les forces de sécurité pour des crimes tels que la torture », appelant les responsables politiques à réagir « promptement et publiquement aux tentatives de pression exercées par les syndicats de police sur la justice ».
« Un syndicat a appelé les membres des forces de sécurité à ne plus assurer leurs fonctions au tribunal jusqu’à la libération » de leurs confrères poursuivis, et à ne pas comparaître devant la justice, ajoutent les organisations.
Les ministres de l’Intérieur et de la Justice tempèrent
Le ministre de l’Intérieur et de la Justice ont été tous deux auditionnés lundi 12 mars par la commission de sécurité et de défense au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), suite aux événements du tribunal de Ben Arous.
Une enquête administrative est en cours, a assuré Lotfi Brahem
À l’issue de son audition, le ministre de l’Intérieur Lotfi Brahem a indiqué que l’enquête administrative, menée par l’inspection générale de la police, en coordination avec le ministre de la Justice, se poursuivait. « Toute personne ayant commis des faits avérés d’abus devra en assumer la responsabilité », a-t-il ainsi assuré, qualifiant toutefois ces événements de « faits spontanés ». « Le rassemblement de protestation était pour exprimer une position contre la décision du juge », a-t-il ainsi précisé.
Des discussions avec les syndicats sécuritaires sont en cours avec le département de l’Intérieur, a ajouté le ministre, pour éviter que de tels agissements ne se reproduisent, mais aussi pour établir de bonnes relations avec le pouvoir judiciaire et les autres secteurs, afin que les protestations soient pacifiques.
Le ministre de la Justice a indiqué qu’une instruction judiciaire était également en cours.
Une loi en question
Si le ministre de l’Intérieur Lotfi Brahem a assuré mardi que 202 agents avaient été traduits en justice et 729 autres devant un conseil de discipline en 2017, celles-ci ont toutefois été faites dans le cadre de la lutte contre la corruption et non pas contre la torture, notent les organisations.
Les forces de sécurité tunisiennes réclament quant à elles, depuis plusieurs mois, le vote d’une loi réprimant plus durement les attaques envers elles.
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Oppressive sous Ben Ali, cible de la colère populaire en janvier 2011, l’institution policière n’a jamais été réformée depuis la révolution. Résultat : les dérapages se multiplient et les Tunisiens sont sur le qui-vive.
La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), que préside la Tunisienne Souhayr Belhassen, publiera le 20 juillet un rapport dans lequel elle dénonce la persistance en Tunisie de « pratiques issues du passé » qui résultent de « décisions prises en haut lieu ».