Qu’est devenu Ibni Oumar Saleh ?

Les conclusions de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur la disparition du leader de l’opposition, le 3 février dernier, sont attendues dans les prochains jours.

Publié le 2 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Six mois après sa disparition de son domicile de N’Djamena, au soir du 3 février, on est toujours sans nouvelles d’Ibni Oumar Mahamat Saleh. Le président du Parti pour les libertés et le développement (PLD) et porte-parole de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPCD) a été enlevé par des hommes armés à la faveur de la confusion qui a suivi l’attaque rebelle contre le régime d’Idriss Déby Itno à la fin du mois de janvier. D’après divers témoignages, des militaires se sont présentés au domicile de plusieurs opposants pour les enlever. Ils ne disposaient, pour cela, d’aucun document officiel. Lol Mahamat Choua, président du Rassemblement pour la démocratie et le progrès, Ngarlejy Yorongar, leader de la Fédération action pour la République, et Ibni Oumar Mahamat Saleh ont été conduits dans une « prison secrète », située non loin de l’aéroport de N’Djamena.
Ahmad Allam-Mi, ministre des Affaires étrangères, les qualifie alors de « prisonniers de guerre pris sur le champ de bataille ». Accusés d’« intelligence avec l’ennemi », ils seront, selon Yorongar, « brimés et torturés ». Leur libération interviendra une dizaine de jours plus tard pour Lol Mahamat Choua, et vingt jours après pour Ngarlejy Yorongar. Quant à Ibni, on reste sans nouvelles de lui.
Sadia Brahim, l’épouse du disparu, affirme n’être au courant de rien. Hicham Ibni, son fils, qui vit à Paris, déclare pour sa part ne disposer « d’aucune information précise ». Pour le député Saleh Kebzabo, au regard de ce qui s’est passé le soir du 3 février et « compte tenu des méthodes du ÂÂclan DébyÂÂ, il ne peut s’agir que d’un kidnapping politique ». Une façon de laisser entendre qu’Ibni est certainement mort, hypothèse que se sont toujours refusées à confirmer les autorités. Lors du sommet de l’Union africaine qui s’est ouvert le 30 juin à Charm el-Cheikh, le chef de l’État tchadien a déclaré ne pas comprendre le harcèlement dont il faisait l’objet concernant cet opposant. Pour lui, il existe « 400 autres victimes » dans cette affaire. Pas besoin d’en faire autant pour un homme qualifié par le ministre de la Défense, le général Abdallah Nassour, de « complice des mercenaires ».
Quoi qu’il en soit, le dossier Ibni n’est pas prioritaire : lors d’une intervention sur une chaîne de télévision française deux mois après les événements, Idriss Déby Itno déclarait qu’on ne reparlerait des droits de l’homme au Tchad que lorsque la paix y serait revenue. Et qu’il fallait attendre les conclusions de la commission d’enquête mise sur pied pour faire la lumière sur les exactions perpétrées en février 2008.

Le siège du parti cambriolé
Depuis, le siège du PLD a été saccagé dans la nuit du 12 au 13 juillet dernier, et tous les documents ont été emportés, précise Jean-Baptiste Laokolé, secrétaire général adjoint du mouvement. Un cambriolage étrange, qui vient s’ajouter aux différentes versions de l’enlèvement, racontées de manière incertaine par les quelques témoins. Ainsi, après sa rencontre avec Idriss Déby Itno en mars, Lol Mahamat Choua a pris le contre-pied de son témoignage initial, dans lequel il avait pourtant reconnu avoir été détenu avec Ibni et Yorongar. Cinq mois après les faits, l’omerta persiste. Le gouvernement a toujours maintenu qu’il était impossible de « déterminer avec exactitude les circonstances » du rapt d’Ibni. En l’absence du corps de la victime, on se contente de parler pudiquement de « disparition ».
Reste alors les promesses faites par la France, qui a déclaré vouloir aider le Tchad à faire la lumière sur la disparition d’Ibni. Un engagement pris par Nicolas Sarkozy en personne, lors de sa visite à N’Djamena, le 27 février dernier, et qui n’a rien donné à ce jour. Le ministère français des Affaires étrangères s’est contenté d’espérer que « la commission d’enquête constituée par le régime du président Idriss Déby donne les éclaircissements » sur le sort d’Ibni.
La pétition lancée par le député socialiste de la Nièvre, Gaëtan Gorce, n’a reçu que peu d’écho. Pour David Buchbinder, chargé de mission de Human Rights Watch au Tchad, l’une des questions essentielles est de savoir pour quelle raison « si peu de gens sont en mesure de dire où est passé cet homme ». Pour lui, « le sort d’Ibni a certainement été scellé par un tout petit groupe de personnes ». Ce qui accrédite le scénario décrit par Ngarlejy Yorongar après sa libération : « Ibni Oumar Saleh est bien mort dans la nuit du 5 au 6 février », estime-t-il. Mais ses geôliers n’avaient sans doute pas l’intention de le tuer : « Soit Ibni est décédé des suites des tortures qui lui ont été infligées, soit il a succombé à la privation de ses médicaments. » Yorongar explique avoir entendu, le soir en question, des gens crier : « Il est mort, Ibni est mort. » La nouvelle lui fut d’ailleurs confirmée par l’un des gardes venu se confier à lui.

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La vérité, mais jusqu’où ?
Autre interrogation : que sait Idriss Déby Itno de cette disparition ? Une question épineuse pour la commission d’enquête exigée par la communauté internationale au lendemain des troubles. Ce groupe de travail mis en place pour investiguer sur « l’agression soudanaise du 28 janvier au 8 février » et sur les violations de droits humains qui en ont résulté aura du mal à convaincre. Tout le monde ou presque doute du sérieux de cette instance, à laquelle on reproche d’être inféodée au régime en place. « Quel type de vérité attendre quand on sait que Déby contrôle tout de bout en bout ? », demande Saleh Kebzabo. Mahamat Hassan Abakar, l’avocat de la famille Ibni, explique pour sa part qu’il lui est impossible de collaborer avec la commission tant que « les conditions les plus élémentaires de transparence ne sont pas respectées ». Idem pour Jean-Baptiste Laokolé, qui accuse Déby de vouloir s’en servir pour mieux se disculper et sauver la réputation de son régime.
Toutefois, le prérapport remis le 5 août au chef de l’État par la commission semble indiquer le contraire. Selon les premières conclusions, l’armée est effectivement responsable de la disparition de près de 400 personnes survenue lors de la répression qui a suivi l’entrée des assaillants dans la capitale. Et la commission ajoute que les autorités françaises étaient bien au courant des agissements des troupes loyalistes. « Pour ce que l’on sait ordinairement du Tchad, se félicite-t-on à la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), on peut déjà dire que cette commission a plutôt bien fait son travail. » Reste à savoir jusqu’où elle pourra aller.
Seule certitude, ses conclusions sont très attendues : par le président tchadien, qui espère prouver son innocence et accroître sa marge de manÂÂuvre sur le plan politique ; par l’Union européenne et l’Union africaine, qui comptent ainsi faire progresser le dialogue interne exigé après les accords du 13 août 2007 ; et par l’opposition, qui souhaite une condamnation sans appel du régime de N’Djamena et de ses pratiques peu démocratiques. Difficile de satisfaire tout le mondeÂÂ Aussi, peut-on craindre que la commission, soumise à de fortes pressions, se déclare incapable de statuer sur le sort d’Ibni. Réponse le 15 septembre prochain, date fixée pour la publication des résultats de ses investigations.

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