Un index de l’émergence « adapté aux réalités des économies africaines »

Mamoudou Gazibo et Olivier Mbabia, deux chercheurs nigérien et camerounais de l’université de Montréal, viennent de publier leur tout premier « classement de l’émergence en Afrique », qui, outre les performances économiques, prend en compte les performances sociales et la stabilité politique et institutionnelle.

Sur un site de construction à Johannesburg en 2009. L’Afrique du Sud est en seconde place dans le nouvel « index de l’émergence ». © KAREL PRINSLOO/AP/SIPA

Sur un site de construction à Johannesburg en 2009. L’Afrique du Sud est en seconde place dans le nouvel « index de l’émergence ». © KAREL PRINSLOO/AP/SIPA

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Publié le 14 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

Pour les chercheurs en sciences politiques Mamoudou Gazibo et Olivier Mbabia, membres du Pôle de recherche sur l’Afrique et le monde émergent au sein de l’université de Montréal, la simple mesure des performances économiques est insuffisante à mesurer l’émergence d’un pays. Pour eux, cette notion se définit plutôt comme « un processus de transformation économique soutenue qui se traduit par des performances aux plans social et humain, et qui prend place dans un contexte politique et institutionnel stable susceptible d’en assurer la soutenabilité ».

Un Observatoire de l’émergence en Afrique

Les chercheurs, qui s’apprêtent à lancer, la semaine prochaine, un Observatoire de l’émergence en Afrique, ont entrepris la création d’un nouvel indice chargé de « corriger les manques » des méthodes traditionnelles d’évaluation. L’index qu’ils viennent de publier prend en compte 23 critères, répartis en quatre catégories, politique, économie, développement humain et société.

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Parmi leurs sources, des indicateurs aussi divers que l’indice de perception de la corruption, publié par Transparency international, l’indice africain de développement de l’infrastructure, mis au point par la BAD, ou encore le coefficient de Gini, développé par le Pnud pour mesurer les inégalités.

Le taux de participation des femmes à la vie active, le développement du secteur rural, l’émigration des personnes éduquées ou encore les menaces à la sécurité qui connaissent les États sont d’autres aspects de cet index de l’émergence.

 © Source : Pôle de recherche sur l’Afrique et le monde émergent / Université de Montréal

© Source : Pôle de recherche sur l’Afrique et le monde émergent / Université de Montréal

Pallier le manque de données

« Beaucoup d’autres critères nous semblent important, mais nous avons dû faire des choix, en particulier pour nous adapter au manque de données dans certains secteurs », confie Mamoudou Gazibo, qui aurait aimé inclure également des indicateurs spécifiques aux classes moyennes ou le taux de retour de la diaspora.

Résultat, l’index publié diffère quelque peu des classements qui peuvent être élaborés avec le PIB/habitant ou l’Indice de développement humain mis au point par le Pnud, comme le montre le tableau ci-dessous.

Classement selon l’indice de l’émergence, le PIB/habitant et l’IDH. Sources : Observatoire de l’émergence en Afrique, FMI, Pnud
Infogram
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Guider les politiques publiques

Mais pourquoi cet indice serait-il spécialement africain ? « Bien sûr, il y a des aspects universels. Une croissance soutenue, par exemple, est nécessaire à l’émergence. Mais si l’on se penche sur le modèle de développement des pays asiatiques, dans les années 1980, on s’aperçoit que bon nombre d’entre eux ont émergé dans des contextes autoritaires.

Ce sont des modèles qu’on ne peut pas répliquer en Afrique, où la vie politique est pluraliste et où la demande démocratique est forte. Ce qui est aussi une source d’instabilité : une guerre de succession, et tout peu s’effondrer. Ce sont tous ces aspects qu’il convient de prendre en compte », explique Mamoudou Gazibo, qui partage également avec son coauteur un intérêt pour la Chine et les pays émergents.

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Le professeur d’origine nigérienne annonce son intention de rééditer d’année en année ce classement, et d’en faire émerger un Guide de l’émergence, « pour faire ressortir les grandes variables qui semblent jouer un rôle dans le processus ». Car pour lui, la recherche doit permettre d’aiguiller les politiques publiques.

« Les questions que nous posons dans nos laboratoires doivent pouvoir être utiles pour la société, nous n’avons aucune raison de rester à l’écart de la réflexion. En outre, de plus en plus de bailleurs nous demandent de publier nos résultats en accès gratuit, pour maximiser les retombées », explique-t-il.

Les surprises du classement

« Il n’y a quasiment pas de pays pétrolier dans le top 10 », fait remarquer Mamoudou Gazibo. Pourtant, les petits pays pétroliers comme la Guinée équatoriale et le Gabon, peu peuplés et très riches en ressources naturelles, occupent des positions très confortables dans un palmarès selon le PIB par habitant. Autre constat : une grande économie, comme celle du Nigeria, ne fait pas nécessairement du pays un émergent.

Par ailleurs, le détail de l’indice, catégorie par catégorie, montre les importantes disparités qui peuvent exister dans un même pays en fonction des critères. Ainsi, si les pays du Maghreb tiennent le haut du panier dans l’évaluation sociétale, leurs performances sont moins flatteuses dans le domaine politique, notamment suivant les critères « stabilité démocratique », « intégrité de la bureaucratie » et corruption ».

Ce qui n’empêche pas le Maroc, l’Algérie et la Tunisie de figurer tous dans la quinzaine du classement selon l’émergence – comme de celui selon l’IDH.

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