Union africaine : 15 ans après sa création, l’ambitieux MAEP peine à obtenir des résultats
Lancé en 2003 après la création de l’Union africaine, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) réunit du 12 au 15 mars à Kigali, au Rwanda, ses membres, diplomates et experts, pour redynamiser l’agence après des débuts poussifs.
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Le sommet de l’Union africaine qui se tient du 17 au 21 mars 2018 à Kigali doit déboucher sur la signature de l’accord prévoyant la mise en place de la Zone de libre-échange continentale. Quels en seront les contours ? Quels sont les obstacles ? Les avantages pour les pays ? Les risques que l’accord comporte ? Retrouvez tous nos articles ici.
Sur le papier, le projet est à la fois ambitieux et prometteur. Au moment de sa création en 2003, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), outil chargé d’analyser les progrès en termes de gouvernance des pays du continent, a suscité beaucoup d’enthousiasme.
« La gouvernance a longtemps été un tabou en Afrique », reconnaît le professeur Edward Maloka, directeur général du secrétariat continental du MAEP, outil de l’Union africaine (UA), lors du 15e anniversaire du mécanisme, dont les membres sont réunis du 12 au 15 mars à Kigali, au Rwanda.
« Solutions africaines aux problèmes africains »
Impulsé par le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) et conceptualisé comme un organe à travers lequel les pays membres acceptent de faire le diagnostic de l’état de la gouvernance démocratique, politique et économique dans leur pays, le MAEP devait ouvrir une nouvelle ère pour le continent. « Celle des solutions africaines aux problèmes de africains », précise le directeur du secrétariat de l’agence.
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L’évaluation se déroule, dans sa forme actuelle, en trois étapes. Une fois que le pays membre accepte de se soumettre à l’examen, un comité national de gouvernance se met alors en place, réunissant des membres du pouvoir, de l’opposition, de la société civile et des analystes.
De ces discussions émerge un rapport d’autoévaluation, qui est ensuite confronté aux conclusions d’un panel indépendant du MAEP. Ce panel émet des recommandations dont une partie est intégrée à un plan d’action national, sorte de feuille de route pour corriger les problèmes identifiés.
Réunis pour ce 15e anniversaire, les diplomates des pays membres, les représentants du panel et les experts tentent aujourd’hui de revoir la méthodologie de l’agence et d’impulser une nouvelle dynamique à l’heure des grandes réformes de l’UA.
« L’âge de la sagesse »
« Quinze ans dans la vie d’un homme, c’est le moment de l’adolescence, de la crise. Pour notre institution, ça sera l’âge de la sagesse, celui de la maturité », espère Khayar Oumar Defallah, diplomate tchadien et membre du MAEP.
En 15 ans d’existence, l’organe panafricain recense l’adhésion de 37 pays. À la tête du mécanisme, le président tchadien Idriss Déby Itno, qui succédait ainsi à cette fonction, début 2018, à son homologue kényan Uhuru Kenyatta, s’est fixé pour objectif de réunir les 54 États de l’UA dans l’agence, d’ici fin 2018.
Un vœu qui a néanmoins de grandes chances de ne pas se réaliser. L’outil restant basé sur le principe de l’adhésion volontaire, plusieurs pays, parmi lesquels la République démocratique du Congo, le Burundi ou le Zimbabwe, ont par exemple exprimé le souhait de ne pas intégrer le MAEP.
Un pays comme le Botswana, sans problème majeur de gouvernance, n’a aucun intérêt à dépenser des fortunes dans ce mécanisme
Les raisons de ces refus sont multiples. « Le Zimbabwe n’a jamais voulu s’impliquer parce que, selon Robert Mugabe, comme pour d’autres chefs d’États, ce mécanisme qui se prétend africain est en réalité d’inspiration occidentale », explique Steven Gruzd, directeur du programme « Gouvernance et MAEP » au South African Institute of International Affairs (SAIIA).
« Autre exemple, un pays comme le Botswana, bien situé dans l’indice Mo Ibrahim, sans problème majeur de gouvernance, n’a aucun intérêt à dépenser des fortunes dans ce mécanisme », poursuit-il.
Sincérité des pays membres
La question du financement est en effet une autre limite de ce mécanisme. Le MAEP fonctionne principalement à partir des cotisations annuelles, au départ fixées à 100 000 dollars et réévaluées depuis à 200 000 dollars, pour chaque pays membre.
Quand le MAEP a commencé à perdre en vitesse, les pays ont contribué de moins en moins en se disant que cela ne servait à rien
Des « frais d’inscription » que plusieurs pays ne versent que de manière irrégulière voire, dans certains cas, ignorent. « Quand le MAEP a commencé à perdre en vitesse, au bout de la dixième année [en 2013, NDLR], les pays ont contribué de moins en moins en se disant que cela ne servait à rien », explique le professeur Edward Maloka.
« Mais ces deux dernières années, notamment grâce à la présidence de Uhuru Kenyatta, qui s’est beaucoup investi dans le MAEP, nous avons pu à nouveau réunir des fonds, avec également une contribution spéciale de l’Union africaine. Seulement 20 % des pays membres de l’agence contribuent pour l’instant mais nous espérons que d’autres les rejoindront bientôt ».
En 15 ans d’existence, le mécanisme n’a procédé qu’à 20 évaluations dont les conclusions n’ont pas toutes été rendues publiques
Ce problème de financement « pose la question de la sincérité des pays qui rejoignent le mécanisme », estime de son côté Steven Gruzd.
Résultat, en 15 ans d’existence, le mécanisme n’a procédé qu’à 20 évaluations dont les conclusions n’ont pas toutes été rendues publiques. Seuls 18 des 37 pays membres se sont pour l’instant prêter à l’exercice.
Le manque de moyen financier est une des raisons à cela. Le manque de volonté de certains membres du MAEP à autoriser des délégations étrangères à juger de l’état de leurs pays, en est une autre.
« De temps en temps, les pays veulent dresser un portrait plus flatteur de la réalité de leurs pays », commente un diplomate membre du MAEP.
« Une des faiblesses du mécanisme est que les plans d’actions, censés être le remède aux problèmes du pays, ne sont pas suivis. Au maximum, 60 % des recommandations formulées par le panel sont retenues. Ces programmes se perdent dans les priorités de chaque pays, qui n’ont parfois pas le budget ni le temps consacré à ces recommandations », explique Steven Gruzd.
« Obligation morale »
L’organisation, réunie à Kigali, réfléchit désormais à un moyen pour assurer une veille de l’application de ces feuilles de route que les gouvernements se sont engagés à suivre. « Il faut que nous entamions le dialogue avec les chefs des États pour intégrer les plans d’actions du MAEP à l’agenda national et éviter que ces recommandations ne soient enterrées », estime Edward Maloka.
Les pays qui pensent que le mécanisme est inutile peuvent le quitter
Seuls le Kenya et l’Ouganda ont à ce jour été évalués à deux reprises. Le second rapport ougandais a été réalisé en 2017, avant que la limite d’âge pour être éligible à la présidentielle ne soit retirée de la Constitution, ouvrant ainsi la voie à un nouveau mandat du président Yoweri Museveni. Pourtant, le premier rapport sur l’Ouganda, rendu en 2008, pointait déjà les risques que représentaient de tels changements.
« Les pays qui pensent que le mécanisme est inutile peuvent le quitter. Dans la mesure où ils restent et payent leurs cotisations cela signifie qu’ils le considèrent comme un organe qu’il faut écouter. Il n’y a pas de raison d’ignorer les recommandations. À savoir si celles-ci doivent devenir obligatoires, c’est un autre débat. Je pense surtout qu’il y a une obligation morale pour ces pays », estime l’évêque Dinis Sengulane, membre du panel du MAEP chargé de l’évaluation de l’Ouganda.
La relance du MAEP est une des composantes des réformes qu’entend mener Paul Kagame lors de son mandat à la tête de l’Union africaine, pour cette année 2018 placée sous le signe de la lutte contre la corruption.
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