Égypte : les chiffres de l’économie se sont améliorés… pas le niveau de vie
Mise à mal par des décennies de mal-gouvernance, un « printemps » chaotique et la dégradation des sources de devises, l’économie égyptienne montre, sur le papier, des signes d’amélioration depuis l’arrivée de 12 milliards de dollars du FMI. Mais l’inflation est partie en flèche et le salaire des fonctionnaires n’a pas suivi.
Le rapport du Fonds monétaire international (FMI) sur l’état de l’économie égyptienne publié le 23 janvier se réjouit qu’elle soit « sur la bonne voie » (« on track »). À l’évidence, ce n’est pas ce que pense la majorité des Égyptiens qui voteront du 26 au 28 mars pour ou contre le président Sissi.
Certes, quand celui-ci s’est fait élire en 2014, l’Égypte était en faillite après des décennies de mal-gouvernance et trois ans de « printemps » chaotique. Les années qui ont suivi n’ont rien arrangé à cause de la dégradation des quatre sources de devises du pays : le canal de Suez moins fréquenté, le tourisme étranglé par le terrorisme, la production pétrolière déclinante et les envois des trois millions de travailleurs expatriés en baisse.
Confronté à un déficit budgétaire abyssal (12 % du produit intérieur brut, PIB), une balance courante en chute, des réserves en voie d’assèchement, l’État « providence » égyptien ne pouvait plus financer les subventions généreuses des carburants, de l’électricité, de l’eau, de la farine, etc., malgré les milliards de dollars de l’Arabie saoudite et des Émirats. Après avoir longtemps tergiversé, le président Sissi s’est résolu en août 2016 à prendre la potion très amère que lui proposait depuis des mois le FMI en échange d’un prêt de 12 milliards de dollars.
Résorption du déficit
Celui-ci n’y est pas allé de main morte : instauration d’une TVA à 13 %, suppression d’un grand nombre des subventions précitées, flottement de la livre qui a perdu la moitié de sa valeur, passant de 8,8 livres à 18 livres pour un dollar. Si l’on en croit les chiffres du FMI, la thérapie a été efficace.
Le taux de croissance s’accélère (+3,5 % en 2015-2016, mais +4,8 % espéré en 2017-2018). Les recettes budgétaires 2016-2017 ont progressé de 31,8 % et le déficit s’en est trouvé ramené sous les 10 %. Les exportations ont presque doublé en valeur. Les réserves en devises sont revenues à leur niveau de 2014. La livre est stable, voire légèrement appréciée.
Les prix de l’eau potable et de l’essence ont augmenté de 50 %
Les expatriés augmentent leurs envois au pays. Les touristes reviennent et les investissements étrangers aussi. Il ne manque plus que la manne du gisement gazier offshore géant « Zohr » pour accélérer la reprise (si la Turquie ne se met pas en travers de son exploitation d’ici 2019).
Niveau de vie en berne
Cette version « rose » doit être corrigée par les douloureux effets pour les familles de ce plan de sauvetage qui a déclenché une inflation galopante, atteignant un point culminant de 35 % l’an en juillet 2017. Les prix de l’eau potable et de l’essence ont augmenté de 50 %. Celui du propane a doublé. Le poulet et le riz valent deux fois plus cher et le sucre, quatre fois.
Le président Sissi a demandé à ses compatriotes en colère de « tenir » six mois
Comme il le fait lorsqu’il suggère un plan drastique (Grèce, Tunisie), le FMI a bien conseillé de mettre en place un « filet social » pour éviter aux plus pauvres de basculer dans une plus grande misère. Le problème est que les deux programmes de ce type, « Karama » et « Takaful », créés en 2015, ne bénéficient qu’à 1,7 million de familles et que les fonctionnaires sont les dindons de la farce, puisque leur salaire n’a été réévalué que de 10 % au mieux.
Le président Sissi a demandé à ses compatriotes en colère de « tenir » six mois. Le FMI espère que le taux d’inflation ralentira à 12 % l’an en juin 2018. Le peuple égyptien, qui était si prompt à descendre dans la rue pour défendre ses libertés, semble tétanisé par la répression qui s’est abattue sur la moindre manifestation d’opposition. Un fort taux d’abstention à la présidentielle pourrait être la seule expression politique d’une population au niveau de vie en berne.
Ce n’était pas prévu par le FMI, mais les baïonnettes ont une place de choix dans la boîte à outils économique du régime égyptien !
Un fonds commun avec les Saoudiens pour développer le Sinaï
Début mars, le prince héritier saoudien, Mohamed Ibn Salmane, avait choisi l’Égypte pour sa première tournée à l’étranger depuis sa nomination en juin. Durant cette visite, les deux pays ont mis en place un fonds d’investissement commun de plus de 10 milliards de dollars, destiné à financer des projets sur les deux rives de la mer Rouge.
Côté égyptien, il s’agira notamment de renforcer l’attractivité de Charm el-Cheikh et Hurghada.
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