Oussama Mellouli, heureux comme un poisson dans l’eau

Lâché par ses sponsors, enterré par la presse locale, le prodige de La Marsa a pris une revanche éclatante en offrant à son pays sa première médaille d’or olympique depuis quarante ans.

Publié le 2 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Grant Hackett en rêvait. L’or lui tendait les bras. Le nageur australien, double médaillé d’or, à Sydney et à Athènes, sur la plus usante des distances, le 1 500 mètres nage libre, était venu à Pékin pour entrer dans la légende en remportant un troisième titre olympique d’affilée. Auteur d’un chrono sensationnel en séries – 14 min 38 s 92, deuxième meilleur temps de l’histoire -, il était le grandissime favori. Personne n’avait réellement prêté attention à la présence, à la ligne d’eau numéro 7, du Tunisien Oussama Mellouli. À court de compétition, car fraîchement revenu d’une suspension de dix-huit mois pour contrôle positif aux amphétamines, l’enfant de La Marsa disputait ce 17 août sa première finale mondiale sur la distance. Pourtant, c’est lui qui pointe le bout de son bonnet aux 1 100 mètres et résiste au retour du champion australien, redoutable finisseur, qui échoue pour 69 centièmes de seconde. En 14 min 40 s 84, Mellouli vient d’offrir son premier titre olympique à la natation tunisienne et arabe. D’un geste rageur du bras, il se frappe le torse, lève son doigt vers la tribune, puis s’extrait rapidement du bassin pour aller embrasser sa mère, son frère et son coach.

D’étonnantes prédispositions
Issu d’une famille de la petite bourgeoisie originaire de Kairouan mais installée dans la banlieue nord de Tunis, Oussama Mellouli, 24 ans, s’est révélé au public tunisien en accrochant, à tout juste 17 ans, la médaille d’argent sur 400 mètres nage libre aux Jeux méditerranéens de Tunis, en septembre 2001. Grand espoir d’une natation dominatrice sur la scène africaine et arabe, mais en quête de reconnaissance internationale, il s’entraîne à partir de 1999 à Marseille, où la fédération tunisienne, en accord avec ses parents, l’a envoyé pour développer son potentiel. En 2002, une fois son baccalauréat en poche et après une belle moisson de médailles d’or (6) aux Jeux africains du Caire, il met le cap sur la Californie, où le système universitaire américain offre la possibilité de combiner études poussées et sport de haut niveau. Il s’inscrit à l’Université de Californie du Sud (USC), à Los Angeles, en informatique et ingénierie des médias, et rejoint l’écurie de champions coachée par Mark Schubert, l’entraîneur de l’équipe américaine de natation. Le régime est particulièrement astreignant – près de 5 heures d’exercices quotidiens -, mais les résultats ne se font pas attendre. Il s’adjuge le bronze sur 400 mètres aux championnats du monde 2003, puis l’or, sur la même distance, et le bronze, sur 200 mètres, lors des mondiaux en petit bassin à Indianapolis, en 2004. Encore un peu « tendre », il ne parvient pas à faire mieux que cinquième aux Jeux d’Athènes. Mais reprend sa progression dès l’année suivante, glanant deux fois le bronze aux mondiaux de Montréal 2005, sur 400 mètres quatre nages et 400 mètres nage libre.
Équilibré, intelligent, d’un calme à toute épreuve, Mellouli a montré très jeune d’étonnantes prédispositions. « Oussama a commencé à nager à l’âge de 4 ans, imitant ses deux frères, licenciés à l’Avenir sportif de La Marsa, se souvient Senda Gharbi, légende de la natation tunisienne, ancienne championne d’Afrique, devenue une de ses amies. Son talent sautait aux yeux, on savait que c’était un futur grand. Il flottait bien sur l’eau, possédait une technique exceptionnelle, et, surtout, il savait se faire mal. Les conseils d’un entraîneur jouent un rôle déterminant dans l’éclosion d’un champion, mais la base de la réussite, c’est le perfectionnisme. Et cette qualité-là n’a jamais fait défaut à Oussama. Il était ambitieux, avait un mental d’acier, était très bien entouré par sa famille, en particulier sa mère, qui a toujours cru en lui. Sa chance a été de partir très tôt s’entraîner à l’étranger, chance que je n’ai pas eue à la fin des années 1980, et c’est ce qui a fait la différence. La Tunisie possède d’excellentes structures de détection, de bons entraîneurs. Mais passé 13 ou 14 ans, un nageur, s’il veut espérer tutoyer le niveau mondial, doit s’expatrier en Europe, aux États-Unis ou en Australie. »

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Du rêve au cauchemar
La Tunisie, qui désespère de trouver un jour un successeur à Mohamed Gammoudi, seul Tunisien à avoir jamais gravi la plus haute marche du podium aux Jeux (c’était en 1968, sur 5 000 mètres), s’entiche de Mellouli, dont la progression laisse augurer de réelles chances de médailles à Pékin. Durant l’été 2006, le champion signe un contrat de marketing sportif d’une durée de trois ans avec le groupe de médias et de communication Karoui & Karoui. Et devient ambassadeur de la chaîne maghrébine Nesma TV. En mars 2007, l’enfant de La Marsa croit toucher au but aux mondiaux de Melbourne : l’argent sur 400 mètres nage libre et l’or sur 800 mètres (distance qui n’est pas homologuée aux Jeux). Le rêve vire au cauchemar deux semaines après son sacre australien, quand la Fédération internationale de natation (Fina) révèle qu’il a été contrôlé positif aux amphétamines, le 30 novembre 2006, pendant l’US Open. Mellouli admet avoir pris un comprimé d’Adderall, un excitant, deux jours avant le début des épreuves et plaide la négligence : il voulait faire une « nuit blanche » pour rendre à temps un devoir. Rien à voir avec une prise d’EPO ou de stéroïdes. La Fina, inflexible, lui retire ses médailles et lui inflige deux ans de suspension. Sanction réduite en appel par le Tribunal arbitral du sport à dix-huit mois, avec effet rétroactif à la date du contrôle. Mais entre-temps, le gendre idéal est devenu un pestiféré. Les sponsors, dont un célèbre équipementier, qui étaient sur le point de le faire signer lui ont tourné le dos, et la presse tunisienne, qui l’avait longtemps encensé, l’a lâchéÂÂ
Mellouli trouve, seul, les ressources morales pour reprendre l’entraînement. Il veut prendre sa revanche à Pékin, montrer qu’on a eu tort de l’enterrer. Les médias focalisent leur attention sur Hatem Ghoula (20 km marche) et Walid Chérif (boxe). Son élimination en séries sur 200 mètres et sa « modeste » cinquième place sur 400 mètres semblent donner raison aux sceptiques. « Il a été déçu par son chrono (3 min 47 s), pensait couvrir les huit longueurs en 3 min 41 s, explique Senda Gharbi. Il ne se voyait pas triompher sur le 1 500 mètres, distance sur laquelle il n’avait pas tous ses repères. J’étais d’un avis contraire. En s’entraînant avec acharnement sur le 400 mètres, il a développé sa ­puissance, mais sa constitution comme ses qualités d’endurance font d’abord de lui un spécialiste du fond. S’il garde la tête froide, il a encore de beaux jours devant luiÂÂ »

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