Mariage noir

S’il n’est pas interdit de le voir tel un polar, le dernier film des frères Dardenne plaide comme les précédents pour la réhumanisation du monde contemporain.

Publié le 2 septembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Ils faisaient partie des favoris pour la Palme d’or en mai à Cannes, où ils présentaient en compétition officielle leur nouveau long-métrage, fort et poignant comme toujours. Avec Le Silence de Lorna, les frères Dardenne n’ont pas obtenu, ce qui eut constitué un record absolu, la récompense suprême pour la troisième fois, après l’avoir déjà remportée pour Rosetta et L’Enfant. Ils ont dû se contenter du prix du scénario, devenant ainsi malgré tout les cinéastes détenteurs du plus beau palmarès sur la Croisette depuis la création du festival.
Un tel succès, sur la durée, pourrait paraître paradoxal pour une ÂÂÂuvre réalisée de façon apparemment artisanale, avec presque toujours en vedette des acteurs inconnus. Mais il suffit de voir les films des deux frères belges, et en particulier celui-ci qui sort en salles aujourd’hui, bien qu’il ne soit peut-être pas leur meilleur, pour comprendre pourquoi ces cinéastes occupent, pour des raisons à la fois cinématographiques (leur style) et éthiques (leur « message »), une telle place dans le cinéma d’auteur contemporain.
Lorna, l’héroïne du film, est une jeune Albanaise émigrée en Belgique. À la recherche d’un moyen de régulariser sa situation, elle a réussi dans son entreprise grâce à la combine classique du mariage blanc. Celui-ci a été organisé par un chauffeur de taxi lui aussi d’origine étrangère, Fabio, qui a monté un réseau très lucratif d’aide à la naturalisation. Elle a donc pu devenir belge en épousant un jeune drogué complètement paumé, Claudy, qui a reçu en échange une somme d’argent non négligeable.
Mais le mariage blanc va tourner au noir, comme dans les films de genre qu’on qualifie avec cette couleur. Car voilà : Fabio, maintenant qu’elle a obtenu ses papiers, entend rentabiliser son investissement en unissant désormais Lorna à un Russe, lequel, très riche, est prêt à payer une fortune pour obtenir un passeport de l’Union européenne. Une opération qui recueille d’autant plus l’assentiment de Lorna que celle-ci a besoin d’argent pour s’établir enfin en montant un petit commerce avec son véritable amoureux, un compatriote dénommé Sokol. Le hic, c’est évidemment que, pour qu’elle puisse à nouveau convoler en fausses noces, il faut qu’elle se débarrasse de son mari légal.
Le divorce s’avérant compliqué à organiser et surtout trop long à obtenir – le Russe est impatient -, l’inquiétant Fabio compte sur une mort rapide de Claudy, assez argenté désormais pour acheter de la dope en grande quantité et donc s’autodétruire. Quand il va apparaître que l’héroïnomane a finalement décidé de décrocher, Fabio va tenter de convaincre Lorna de l’aider à provoquer l’overdose que le drogué, de plus en plus attaché à son « épouse », n’entend pas s’infliger à lui-même.
Nous ne raconterons pas la suite, où rien, bien entendu, ne se passera comme prévu et où les surprises ne manqueront pas. Disons simplement que tout tournera, comme on s’en doute, autour du dilemme de Lorna, qui ne veut ni abandonner son rêve d’intégration ni devenir complice d’un assassinat. La « solution » qu’elle trouvera pour éviter un tel sort sera pour le moins originale. Un peu trop sans doute, et c’est là la seule faiblesse du film.
Loin de tourner à la leçon de morale, Le Silence de Lorna, que rien n’interdit de voir comme une sorte de polar, se contente de montrer des situations sans aucune pesanteur ni insistance : la caméra, toujours agile, ne fait que suivre l’action, jamais entravée par des dialogues non nécessaires. S’il plaide, comme tous les autres longs-métrages des frères Dardenne, pour la réhumanisation du monde contemporain où l’a emporté la seule logique capitaliste de l’argent au détriment de la cohésion sociale, c’est à la manière des contes, sans insister, comme on fait apparaître une évidence. Et avec – c’est la signature des réalisateurs – une façon unique et remarquable de filmer en permanence au plus près les corps des acteurs, et notamment ici celui de la révélation du film, la débutante albanaise Arta Dobroshi, qui incarne magistralement Lorna.

Le silence de Lorna, de Luc et Jean-Pierre Dardenne (sorti à Paris le 27 août)

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