Tunisie : pourquoi l’élection des membres de la Cour constitutionnelle patine
Les députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) n’arrivent pas à s’entendre sur les quatre futurs membres de cette haute instance prévue par la Constitution. Deux tours de vote ont eu lieu mardi dernier. Ils se sont soldés par un échec.
Quatre ans après les élections législatives en Tunisie, la mise en place de la Cour constitutionnelle, censée contrôler la constitutionnalité des lois, se fait toujours attendre. « La mise en place du Conseil supérieur de la magistrature intervient dans un délai maximum de six mois à compter de la date des élections législatives. Intervient à compter de la même date et dans un délai maximum d’un an, la mise en place de la Cour constitutionnelle », indique l’article 148-5 de la Constitution tunisienne de 2014.
De fait, l’instauration de la Cour s’est avérée être un chemin semé d’embûches. Mardi 13 mars, les députés ont échoué à élire 4 de ses 12 membres, le reste d’entre eux devant être désignés par le président de la république et le Conseil supérieur de la magistrature.
Après deux tours de vote infructueux, les députés n’ayant pas respecté les consignes des blocs parlementaires, l’Assemblée n’a réussi à élire qu’un seul membre : la magistrate Radhia Ouersghini. Résultat, elle retarde à nouveau l’échéance de la création d’une Cour essentielle pour la protection des droits et des libertés des citoyens.
Consensus indispensable
Pour être élu, chaque membre doit récolter un minimum de 145 voix sur les 217 sièges. Un minimum qui nécessite un consensus entre les différents blocs parlementaires sur leurs consignes de vote, afin d’empêcher un éventuel blocage.
Depuis plus de deux mois, des concertations ont eu lieu entre les présidents des différents groupes parlementaires afin d’aboutir à un accord sur les candidats à élire. Un combat de longue haleine a fait émerger quatre noms : Sana Ben Achour dans la catégorie des professeurs universitaires en droit, Ayachi Hammami, représentant du barreau des avocats, Raoudha Ouersghini, magistrate, et Abdellatif Bouazizi, secrétaire générale de l’Institut supérieur de la civilisation islamique de Tunis. Un document comportant ces différents noms a ensuite été signé par les chefs de blocs parlementaires et remis au président de l’Assemblée, Mohamed Ennaceur.
« Les logiques partisanes ont été le moteur de ces discussions », rapporte toutefois le député Riadh Jaïdane, président du mouvement l’Appel des Tunisiens à l’étranger. Les prérogatives de cette Cour, qui devra notamment se prononcer sur des enjeux sociétaux très importants en Tunisie, telle que la constitutionnalité de l’inégalité successorale ou encore la nature de l’État tunisien, font de sa composition un enjeu politique pour les partis.
Une situation qui révèle au grand jour la difficulté à tenir des négociations consensuelles au sein de l’Assemblée
La candidature de Raoudha Ouersghini a, par exemple, été appuyée par le parti au pouvoir, Nidaa Tounes, alors que celle de Abdellatif Bouazizi a été appuyé par le parti islamiste Ennahdha, également au pouvoir… Selon nos informations, certaines compétences telles que celles du professeur Slim Laghmami, professeur de droit international, ont dû être sacrifiées sur l’autel de la politique.
Seulement, même une fois le consensus établi, lorsque les élus ont été appelés à voter, aucun candidat n’a réussi à obtenir le nombre de voix nécessaires. Un premier couac. Dans la foulée, un deuxième tour a été organisé et là encore, seule une personnalité a récolté le nombre de voix nécessaires, les trois autres candidats désignés par le consensus n’ayant pas dépassé les 104 voix. Une situation qui révèle au grand jour la difficulté à tenir des négociations consensuelles au sein de l’Assemblée.
« Ces deux échecs s’expliquent aussi par la volonté de retarder cette élection. Certains partis politiques attendent les nominations de la présidence et du Conseil suprême de la magistrature afin d’adapter leur vote », assure Riadh Jaïdane. « Ces manœuvres politiciennes risquent d’entacher la crédibilité de l’institution », ajoute le député.
Les partis se renvoient la balle
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Après l’échec du deuxième vote, les présidents des blocs ont été invités à se concerter à nouveau. Une réunion qui a viré au pugilat, selon Jilani Hammami, porte-parole du Parti des travailleurs. Les différents chefs se sont reproché mutuellement de ne pas avoir suivi les consignes de vote, sans que le mystère de ce dysfonctionnement soit pour autant élucidé.
« Les suspicions pèsent surtout sur le bloc de Nidaa Tounes. Plusieurs députés les soupçonnent d’avoir stratégiquement appelé à voter uniquement pour leur candidate Radhia Ouersghini et à disperser leurs voix pour les autres candidats », croit savoir Jilani Hammami. Riadh Jaïdane confie, de son côté, avoir entendu les mêmes accusations portées par chaque parti à l’encontre de ses adversaires politiques.
Un troisième tour de vote est attendu mercredi 21 mars à l’ARP. Si ce troisième tour n’aboutit pas à l’élection des trois candidats restants, le président du Parlement serait dans l’obligation d’ouvrir à nouveau les candidatures.
Un scénario qui se répète
Ce n’est pas la première fois que l’Assemblée peine à élire des membres d’instances indépendantes, le même scénario s’est produit lors de l’élection du président de l’Instance supérieure et indépendante pour les élections (Isie) fin 2017, où il a fallu cinq votes pour obtenir les 109 voix nécessaires.
Mohamed Tlili Mansri avait été promu à la tête de l’institution grâce au soutien d’Ennahdha, parti dont il est proche, de Nidaa Tounes et de l’Union patriotique libre (UPL). « Les partis politiques cherchent à avoir de l’influence au sein de ces différentes institutions constitutionnelles, ce qui met en cause la neutralité de la future Cour », conclut Riadh Jaïdane.
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