Tunisie : « La République sera laïque ou ne sera pas »

Khadija Moalla, juriste spécialisée sur la question des droits humains, notamment, plaide pour un « débat serein et constructif sur la laïcité », nécessaire à « la construction d’une autre Tunisie, plurielle, plus juste, plus équitable ».

Des Tunisiennes manifestent dans les rues de Tunis le 14 janvier 2018 © Hassene Dridi/AP/SIPA

Des Tunisiennes manifestent dans les rues de Tunis le 14 janvier 2018 © Hassene Dridi/AP/SIPA

Khadija Moalla
  • Khadija Moalla

    Khadija T. MOALLA est une juriste tunisienne experte en droit international, droits humains, droits des femmes, gouvernance et réseaux de la société civile au niveau national, régional et international. Enseignante en droit international à l’Université de droit et à l’Institut diplomatique de Tunis (1991 à 2003), elle a ensuite exercé en tant qu’avocate et consultante auprès du PNUD pour les droits humains en Afrique subsaharienne pendant plus de dix ans et a été directrice du programme SIDA auprès du PNUD dans les États arabes (2003-2011)

Publié le 27 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

Une Tunisienne dépose son bulletin dans un bureau de vote, à La Marsa, banlieue de Tunis (Tunisie), le 21 décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA
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Les Tunisiens vont encore faire un pas en avant avec les municipales, les premières depuis la Constitution de 2014, consacrant la libre gestion des communes. De quoi remettre sur les rails la vie locale mais aussi l’économie, qui en a bien besoin.

Sommaire

Tribune. La Tunisie a l’obligation morale de réussir à s’en sortir, pour elle-même, pour son peuple, mais aussi au nom du « modèle » qu’elle incarnerait alors pour l’ensemble des pays de la région arabe et du continent africain tout entier. Mais entre une gauche incapable de s’unir autour d’une même vision, une droite dominée par certains corrompus d’hier et un fondamentalisme opportuniste, sept ans après la chute du régime de Ben Ali, la Tunisie se cherche encore.

L’héritage de Bourguiba

Il n’aura pourtant fallu que cinq ans au zaïm Bourguiba, après l’indépendance, pour embarquer le pays sur la voie de la modernité, sans qu’il soit freiné par le poids de la religion, des traditions ou du passé.

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Outre l’unification du système judiciaire et l’abolition de l’institution des habous (biens de mainmorte qui privait les femmes du droit à la propriété), Habib Bourguiba a veillé à séparer les préceptes religieux du système juridique afin d’ériger en règle le respect des droits des femmes, donnant aux Tunisiennes – plus de vingt ans avant la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (adoptée en décembre 1979 par l’ONU) – une avance incommensurable sur tant d’autres femmes, pas seulement arabes ou africaines, mais du monde entier.

>>> À LIRE – Libération des femmes tunisiennes : qu’est devenu l’héritage de Bourguiba ?

Il a prouvé qu’un pays de culture arabo-musulmane est capable d’embrasser la modernité dans toute sa plénitude et dans le respect de la citoyenneté, alors qu’aujourd’hui encore la plupart des sociétés du continent, en droit ou en fait, continuent d’être régies par un système légal complexe où se côtoient le droit positif, le droit coutumier, les préceptes religieux et leur pendant judiciaire. Alors que la plupart des Constitutions des États africains proclament l’égalité et la non-discrimination, les droits de leurs citoyens sont encore gérés par des régimes juridiques basés sur toutes sortes d’inégalités.

Droit des femmes et liberté de religion

En Tunisie, les dernières pierres à cet édifice juridique protecteur ont été apportées, en septembre 2017, par l’annulation d’une circulaire du ministre de la Justice (datant de 1973) qui interdisait aux Tunisiennes d’épouser un non-musulman, et, le mois précédent, par la création d’une commission chargée d’explorer la possibilité de mieux inscrire dans la loi l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans l’héritage. Si cette commission réussit dans sa mission, elle ouvrira le chemin vers une plus grande égalité entre tous les citoyens et vers la liberté d’interprétation des textes religieux.

La Constitution de 2014 a prouvé qu’une nouvelle culture pouvait prendre racine dans l’esprit et le cœur du peuple

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En consacrant la liberté de religion, la Constitution de 2014 a prouvé qu’une nouvelle culture pouvait prendre racine dans l’esprit et le cœur du peuple, afin d’œuvrer à la construction d’une autre Tunisie, plurielle, plus juste, plus équitable, où des valeurs universelles communes telles que l’égalité, la justice sociale et la liberté permettraient aux citoyens de vivre ensemble et en communauté.

Ce sont ces valeurs qui fondent l’identité tunisienne et le sentiment d’appartenance des citoyens à une même société basée sur un développement qui garantit la liberté d’initiative, la créativité, l’innovation, contrairement à l’idéologie prônée par l’islam politique, qui veut fonder l’identité sur la religion et sur une société distinguant les croyants et les non-croyants, instaurant un climat de suspicion envers les non-pratiquants…

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Actuellement, la société tunisienne ne parvient pas à établir un débat serein et constructif sur la laïcité, notamment parce que certains partisans fondamentalistes de l’islam politique tentent de l’en dissuader. Or ce débat est crucial, car, sans un système fondé sur la sécularité des institutions et des législations, point de démocratie.

Seule l’inscription de la laïcité et de la sécularité dans la loi et le droit peut garantir la démocratie, le respect de la diversité, l’égalité des citoyens quelle que soit leur religion et, par conséquent, le développement. C’est ce pilier fondamental qui a manqué aux initiatives avant-gardistes en 1956. Si tout le monde s’accorde pour dire que le contexte politique d’alors ne s’y prêtait pas, rien ne saurait le justifier en 2018.

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