Les victimes réclament justice

Deux ans après l’épandage de déchets toxiques à Abidjan, beaucoup de personnes touchées attendent toujours d’être indemnisées. Mais plus qu’un dédommagement, elles souhaitent que les véritables responsables soient enfin jugés. Ouverture du procès prévue p

Publié le 2 septembre 2008 Lecture : 5 minutes.

A 22 ans, Djessi Kouamé a son avenir derrière lui. Il est l’une des nombreuses victimes du Probo Koala. Ce navire affrété par la société néerlandaise Trafigura a déversé des déchets toxiques, le 19 août 2006, sur Abidjan et sa banlieue. Depuis, Djessi a été contraint d’abandonner toutes ses activités. Il était gérant d’un télécentre, aux abords de la décharge publique d’Akouédo, l’un des sites touchés par les déchets toxiques. Las d’attendre un emploi dans l’administration, il avait pris le parti de s’installer à son compte. Son affaire tournait bien, l’avenir semblait prometteur. Jusqu’au jour où le « bateau poubelle » est venu briser ses espoirs. Et détruire sa santé.
Selon un rapport de l’ONU, les déchets contenaient du sulfure d’hydrogène, qui, en quantités importantes, peut être mortel. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, Djessi est grabataire. Comble de malheur : il n’a même pas accès aux soins. Il fait partie des victimes qui n’ont pas été répertoriées par l’administration, et qui ne sont donc ni prises en charge médicalement ni indemnisées. Selon les chiffres officiels, le Probo Koala aurait fait 100 000 victimes, dont 16 sont décédées. Mais, pour le président de la Fédération nationale des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire (Fenavidet-CI), Denis Yao Pipira, il y en a deux fois plus. « Le recensement a été fait dans la précipitation parce qu’il a été difficile de déterminer, dès le début, le nombre de victimes, étant donné que les effets des produits toxiques peuvent se révéler après plusieurs mois », soutient-il. Le président de la Fédération dénonce aussi « une gestion nébuleuse des indemnités » : « Les victimes dédommagées n’ont reçu que 200 000 F CFA chacune », se désole Pipira. Cet argent, Djessi n’en a pas encore vu la couleur, mais là n’est pas le plus important pour lui. De son lit de douleur, il a décidé de se battre pour que justice soit faite, joignant sa voix à celles de milliers d’autres victimes. « Ce sera pour moi une satisfaction morale de savoir qui sont les coupables », confie-t-il à ses proches. Et Djessi se reprend à espérer. Joint au téléphone, le procureur de la République, Tchimou Raymond Féhou, confirme que la cour d’assises se penchera sur le dossier Probo Koala à partir du 29 septembre.
Pourtant, c’est au cours du mois d’août que les présumés coupables devaient initialement comparaître devant la justice. Des magistrats avaient été pressentis – il leur a été même notifié de ne pas partir en vacances – pour siéger au sein de cette juridiction. Et, brusquement, la machine s’est grippée. Un retard qui serait dû, selon un membre du barreau, à une simple question d’organisation matérielle concernant l’installation de la cour d’assises.
Ces arguments ne semblent pas convaincre ceux qui soutiennent depuis le début que la justice ivoirienne n’ira pas jusqu’au bout de cette affaire. Le président de la Fenavidet-CI en fait partie. Denis Yao Pipira craint que les poursuites ne visent que des subalternes. Un sentiment conforté par une source judiciaire qui souligne que certaines hautes personnalités citées dans le rapport administratif produit par la commission nationale d’enquête sur les déchets toxiques ont simplement été entendues comme témoins par le doyen des juges d’instruction. Il s’agit du directeur général des douanes, Gnamien Konan, du directeur du Port autonome d’Abidjan, Marcel Gossio, et du gouverneur du district d’Abidjan, Pierre Amondji.
Suspendus au début de l’affaire, ils ont été réintégrés dans leurs fonctions par le président Laurent Gbagbo contre la volonté du Premier ministre de l’époque, Charles Konan Banny. « On a l’impression que la justice a préféré concentrer ses investigations sur les exécutants », souligne notre interlocuteur. En effet, seuls ont été inculpés quelques agents de l’administration à l’instar de Marcel Bombo, commandant du Port autonome d’Abidjan, et le Nigérian Salomon Ugborugbo, le représentant de l’entreprise Tommy, qui avait en charge l’épandage des boues toxiques sur une quinzaine de sites. Parmi les hautes personnalités, le ministre de l’Environnement et celui des Transports de l’époque sont les seuls à avoir été sanctionnés. Encore ne s’agit-il que d’une sanction administrative.
Quant aux dirigeants de Trafigura, ils ne seront pas condamnés. Conformément au protocole signé le 13 février 2007 entre la compagnie et l’État ivoirien, ce dernier s’engageait à abandonner les poursuites contre Trafigura, qui, en contrepartie, lui versait 95 milliards de F CFA (145 millions d’euros). Une somme qui aurait faciliter l’indemnisation des victimes. Les autorités indiquent que 55 000 des 95 000 ayants droit ont été dédommagés au 30 juillet dernier. Mais les associations représentant les victimes rétorquent que les sommes décaissées n’excèdent pas 17 milliards de francs CFA (26 millions d’euros), soit environ le sixième de ce que l’affréteur a versé au gouvernement.

Instruction bouclée
L’État ivoirien rappelle parallèlement que l’indemnisation est une action privée qui ne saurait mettre un terme à la procédure judiciaire. Selon des sources proches du dossier, le doyen des juges, Gnakade Joachim, a bouclé son instruction. Et comme il s’agit d’une affaire criminelle, le dossier a été transmis à la chambre d’accusation près la cour d’appel d’Abidjan, qui a rendu un arrêt renvoyant les personnes poursuivies devant la cour d’assises.
Les autorités judiciaires semblent donc déterminées à mener cette affaire à son terme. Selon un proche collaborateur du Premier ministre, Guillaume Soro, le gouvernement en a même donné l’assurance à Okechukwu Ibeanu, rapporteur spécial des Nations unies sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques. En mission du 4 au 9 août à Abidjan, celui-ci a pu rencontrer les différents protagonistes du dossier (responsables politiques, autorités judiciaires, victimes et représentants des mouvements des droits de l’homme). L’émissaire de Ban Ki-moon en a profité pour exhorter l’État à relancer la procédure judiciaire, tout en regrettant un manque de coordination entre les différentes administrations en charge du dossier. Des cafouillages qui ne manquent pas d’engendrer des retards… et d’entretenir une certaine inquiétude. Voilà plus de deux ans que, au terme d’un parcours complexe entre l’Europe et l’Afrique, le Probo Koala a accosté au port d’Abidjan, et que 500 tonnes de déchets toxiques ont été déversées dans une quinzaine de sites. Bon nombre d’entre eux ne sont toujours pas décontaminés. Quant aux victimes, elles demandent toujours que justice soit faite.

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