Au Kenya, la réconciliation ne suffira pas
Le 9 mars dernier, le président kenyan Uhuru Kenyatta et son adversaire, Raila Odinga, ont créé la surprise en échangeant une poignée de main, après des mois d’affrontements. Mais l’unité nationale ne pourra se faire qu’avec des hommes politiques capables de se fixer des limites pour arriver au pouvoir et s’y maintenir.
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Gilles Olakounlé Yabi
Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).
Publié le 28 mars 2018 Lecture : 3 minutes.
Tribune. Ils se sont rencontrés. Ils ont échangé une belle poignée de main devant les caméras et fait une déclaration conjointe appelant à la fin de leurs différends. Le 9 mars dernier, le président kenyan Uhuru Kenyatta et son adversaire, Raila Odinga, ont créé la surprise, quelques heures avant l’arrivée à Nairobi du chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, depuis limogé. On ne sait pas si les États-Unis ont joué un rôle dans cette subite détente, mais il faut bien sûr se réjouir pour le Kenya de cette poignée de main entre deux hommes qui ont failli conduire le pays à un nouveau désastre. On se souvient que, saisie par l’opposition, la Cour suprême avait confirmé l’impossibilité d’authentifier les résultats promulgués par la commission électorale après la présidentielle d’août 2017.
Dans une décision rare, en Afrique comme ailleurs, la plus haute juridiction du pays avait prononcé l’annulation du scrutin et ordonné sa reprise. Raila Odinga, qui demandait une refonte totale de la commission électorale, avait finalement opté pour le boycott. Et ouvert la voie à une réélection facile du président sortant en octobre suivant.
Bilan de la crise : environ 150 personnes tuées, majoritairement par les forces de sécurité pendant des manifestations pro-Odinga. Ce n’est évidemment pas rien, même si c’est beaucoup moins que le millier de morts de la crise postélectorale de 2007-2008.
Deux familles proches
Rien n’indiquait une tendance à la décrispation depuis le début du second mandat du président Kenyatta. Raila Odinga avait refusé de reconnaître sa légitimité. Il avait même prêté serment comme « président du peuple ». Mais peut-être ce rapprochement surprendrait-il moins si l’on se rappelait l’histoire des familles Kenyatta et Odinga. Les deux hommes n’avaient-ils pas l’habitude de s’adresser l’un à l’autre en utilisant le terme de « ndugu », qui signifie frère en swahili ?
Les héritiers des pères fondateurs du Kenya indépendant se connaissent parfaitement et leurs deux familles auraient joué un rôle dans ce rapprochement
Raila Odinga a souvent affirmé que les désaccords entre son père, Jaramogi Oginga Odinga, et celui d’Uhuru Kenyatta, Jomo Kenyatta, respectivement premier vice-président et premier président du Kenya, étaient idéologiques et non tribaux ou personnels. Les héritiers des pères fondateurs du Kenya indépendant se connaissent parfaitement et leurs deux familles auraient joué un rôle dans ce rapprochement.
Cet événement suscite spéculations et divisions au sein de la coalition qui a soutenu Odinga, mais aussi des inquiétudes du côté des partisans de William Ruto, qui a un œil sur la magistrature suprême. Mais au-delà des intérêts politiques des uns et des autres, cette réconciliation augure-t-elle des lendemains heureux pour le Kenya, en matière d’unité nationale, de stabilité politique et de progrès partagé ? Rien n’est moins sûr.
La poignée de main et les arrangements partisans qui vont suivre ne doivent pas faire oublier les violences et les intimidations après les élections
Renforcement nécessaire des contre-pouvoirs
La poignée de main et les arrangements partisans qui vont suivre ne doivent pas faire oublier ce que les acteurs politiques kenyans ont montré une nouvelle fois à l’occasion de ces élections : des violences et des intimidations, le recours à la mobilisation politique sur des bases ethniques, et des assassinats ciblés, comme celui d’un responsable informatique de la commission électorale, Chris Musando. Ils ne doivent pas faire oublier non plus que le président Kenyatta avait publiquement traité les juges de la Cour suprême d’« escrocs » et promis de « régler ce problème après l’élection ».
Il ne faut pas oublier que Kenyatta tout comme le vice-président William Ruto ont été poursuivis devant la CPI
Dans un État de droit, une telle déclaration aurait suffi à justifier une démission. Il ne faut pas oublier, enfin, que Kenyatta tout comme le vice-président William Ruto ont été poursuivis devant la CPI pour leurs responsabilités dans les violences de 2007-2008, et que si les charges ont été levées, c’est essentiellement à cause des pressions exercées sur les témoins pressentis et de considérations politiques.
Les conditions de l’unité nationale, de la pacification de la compétition politique et d’une gouvernance bénéfique à la majorité des populations ne seront réunies que si toutes les institutions de contre-pouvoir continuent à être renforcées – à commencer par la justice et la commission électorale – et si la classe politique kenyane se renouvelle au profit d’hommes et de femmes capables de se fixer des limites dans les moyens acceptables pour arriver au pouvoir et s’y maintenir.
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