Tunisie : médias et confusion, comment sortir de l’imbroglio ?

La réforme promise dans les médias tunisiens n’a pas porté ses fruits. En cause, un manque de pragmatisme, une défiance vis-à-vis des décision de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle et le manque de détermination de l’État d’en découdre avec le lourd héritage du passé.

Des Tunisiens devant les programmes d’une chaîne locale (image d’illustration). © Ons Abid

Des Tunisiens devant les programmes d’une chaîne locale (image d’illustration). © Ons Abid

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  • Larbi Chouikha

    Spécialiste tunisien des médias, Larbi CHOUIKHA est professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) de l’université de la Manouba, à Tunis.

Publié le 27 mars 2018 Lecture : 3 minutes.

Une Tunisienne dépose son bulletin dans un bureau de vote, à La Marsa, banlieue de Tunis (Tunisie), le 21 décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA
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Tribune. En Tunisie, fustiger les médias et le manque de professionnalisme des journalistes est une habitude. Pourtant, dès la fuite de l’ex-président Ben Ali, la nouvelle élite dirigeante s’est accordée pour dire qu’il fallait affranchir les médias de l’emprise des gouvernants et leur donner un cadre juridique et institutionnel qui, normalement, devait consacrer leur transformation et permettre d’engager des réformes structurelles, en s’appuyant notamment sur les expériences et les expertises étrangères.

Défiance vis-à-vis de l’Haica

De nouveaux dispositifs juridiques allaient ainsi voir le jour et, avec eux, des notions totalement nouvelles dans notre culture médiatique, sans que leur homologation constitue cependant de rupture irréversible avec le système médiatique de l’ancien régime, sans non plus qu’elle s’accompagne d’un travail de préparation ou d’explication de la part de ses différents acteurs.

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Pluralisme et diversité, transparence financière, régulation de l’audiovisuel, auto­régulation de la presse écrite et électronique, réhabilitation du métier de journaliste, rôle des entreprises de presse et des nouveaux « médias associatifs », mutation des ex-organes gouvernementaux en médias de service public… Le rôle régulateur de l’État, promoteur des réformes, a été quelque peu étouffé par le foisonnement des problèmes, certains acteurs (anciens ou nouveaux) défiant ouvertement les décisions de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) et les structures étatiques, quand ils ne les ont pas déjà noyautées.

La norme juridique plutôt que le pragmatisme

Aujourd’hui, le constat est amer. Les réformes structurelles tant attendues n’ont pas abouti ou peinent à se mettre en place. En cause : une propension de la Tunisie post­révolutionnaire à privilégier la norme juridique aux dépens d’une démarche pragmatique, réflexive, fondée à la fois sur l’émergence d’une volonté résolument réformatrice de l’État, sur des institutions publiques fortes et crédibles ainsi que sur des entreprises de presse réellement professionnelles et indépendantes des milieux de la politique et de la finance.

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Le paysage audiovisuel s’est enrichi de 12 chaînes de télévision et de 35 stations de radio, mais la question de la transparence de leurs sources de financement se pose avec d’autant plus d’acuité que le budget publicitaire dont bénéficient les médias audiovisuels, estimé à 195 millions de dinars bruts en 2017 [un peu plus de 65 millions d’euros], ne suffit pas à subvenir aux besoins de l’ensemble de ces derniers, avec le risque que la précarité financière les conduise dans les filets de lobbies politiques, financiers ou religieux.

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Sortir de l’imbroglio

Les pratiques de certaines entreprises de presse sont en contradiction avec les dispositions légales (opacité financière, non-respect du cahier des charges de la Haica, absence de ligne éditoriale…). Quant aux ex-médias gouvernementaux, il semble que les pesanteurs du passé, la mauvaise gestion, le poids des intérêts corporatistes ou encore l’ingérence politique rendent illusoire toute ambition de mutation vers un réel service public.

Si l’on veut sortir de cet imbroglio, l’élaboration d’un cadre juridique et institutionnel de régulation des médias doit nécessairement procéder d’une réflexion et d’une dynamique de réforme transversale, concernant tous les médias, à tous les échelons, depuis la formation jusqu’à la production. Et avant de concevoir ces textes juridiques, il faudra au préalable établir un diagnostic minutieux du secteur des médias et se forger une vision d’ensemble assortie d’objectifs précis sur les réformes à accomplir dans cette phase de « transition ».

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Une telle volonté ne peut aujourd’hui émaner que d’un État démocratique, imprégné des valeurs de la révolution, en lien avec les institutions et en concertation avec les organisations professionnelles. Cependant, tant que le pays ne bénéficiera pas de conditions sereines, en l’absence d’un climat de confiance entre gouvernants et gouvernés et d’une détermination de l’État d’en découdre avec le lourd héritage du passé, ces efforts de réforme seront vains, et les risques d’une restauration autoritaire pesants.

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