La facture des jeux
Organisation impeccable, pléthore de médailles… Pour le régime, les jeux Olympiques de Pékin sont un éclatant succès. Mais ils n’empêcheront pas le pays de perdre deux points de croissance économique.
Les lampions des jeux Olympiques éteints et les 958 médaillés fêtés comme il se doit dans leurs pays respectifs, c’est désormais l’heure du bilan. Celui-ci consacre la renaissance de la Chine, dans tous les domaines, et annonce sa future prééminence planétaire.
Côté face, les autorités ont réussi leur pari d’organiser des Jeux de la démesure. Jamais une cérémonie d’ouverture – il est vrai de toute beauté – n’avait été vue par 2,4 milliards de téléspectateurs. Jamais un pays n’avait dépensé 42 milliards de dollars pour bâtir des installations sportives et des infrastructures qui, de l’avis même des athlètes, étaient impeccables. Ah, le stade du « Nid d’oiseau » ! La ville de Londres, qui accueillera en 2012 les prochains JO, aura fort à faire pour être à la hauteur, d’autant que son budget pourrait ne pas dépasser 15 milliards de dollars.
Jamais l’air de Pékin n’avait été aussi pur et léger. Parce que les autorités avaient fait remplacer 18 000 poêles à charbon par des convecteurs électriques, mis au chômage technique les usines du Hebei fonctionnant au charbon, et imposé aux 3,3 millions de véhicules de la capitale de ne rouler qu’un jour sur deux.
Le plus grand nombre retiendra les 32 records du monde battus – du jamais vu depuis les Jeux de Munich, en 1972 -, ainsi que les exploits du nageur américain Michael Phelps (huit médailles d’or au compteur) et du sprinteur jamaïcain Usain Bolt, qui a repoussé les limites de l’homme sur 100 m et 200 m avec une aisance déconcertante. Même l’esprit olympique semble avoir été plus ou moins respecté : 25 athlètes avaient été sanctionnés pour dopage aux Jeux d’Athènes, contre 6 à Pékin.
Harmonie
Comme l’on sait, c’est la Chine qui s’est adjugé le plus grand nombre de médailles d’or (51), devant les États-Unis (36) et la Russie (23), même si, toutes médailles confondues, les États-Unis restent en tête (110) devant la Chine (100) et la Russie (72). Les Chinois brillent désormais dans toutes les disciplines, et plus seulement en ping-pong ou en gymnastique.
Mais la « médaille d’or » méritée par la Chine pour sa maestria en matière d’organisation a aussi son revers. Il est moins glorieux et plus politique. Jamais les JO n’avaient été autant utilisés par un gouvernement pour se faire valoir (si l’on excepte, bien sûr, ceux de Berlin en 1936). Les néocommunistes au pouvoir ont tout fait pour présenter leur pays, au monde entier comme à leur propre peuple, comme le royaume de l’« harmonie », notion essentielle dans la culture chinoise traditionnelle. Il fallait ne plus faire peur. Il fallait que tout soit parfait. Au prix de quelques entorses à la vérité. Et aux droits de l’homme.
Car il y a eu des couacs. Par exemple, l’hymne national chinois chanté en play-back par une fillette plutôt mignonne, mais avec la voix d’une autre fillette, surdouée du chant mais jugée pas assez jolie par les pontes du Parti. Ou les feux d’artifice de la cérémonie d’ouverture en partie préenregistrés et diffusés en vidéo. Ou encore cette jeune gymnaste chinoise, double médaillée d’or, dont on ne sait pas vraiment si elle avait l’âge réglementaire pour concourir.
Et puis, pour rendre la ville plus « harmonieuse », les autorités en ont chassé les prostituées, exproprié manu militari les habitants de maisons jugées indignes du standing de la capitale mondiale du sport, et jeté en prison ou exilé les opposants politiques et religieux. Pour tenir leurs promesses préolympiques de libéralisation, elles ont prétendu autoriser les manifestations dans des « espaces de protestation ». Mais ceux-ci étaient tellement cadenassés que personne ne les a utilisés et qu’une simple demande de renseignements à leur sujet pouvait valoir à son auteur plusieurs heures d’interrogatoire policier.
Faut-il rappeler que cent mille hommes pourvus de tanks et de missiles étaient sur le qui-vive pour prévenir toute opération terroriste ? Que les autonomistes tibétains et ouïgours avaient été préalablement matés pour leur ôter l’envie de troubler cette belle « harmonie » sportive ? À Pékin, le calme a été tel que nombre d’habitués des Jeux les ont trouvés très peu festifs par rapport aux précédents. À force d’être aseptisés.
Avant même que le dernier athlète ait franchi la ligne d’arrivée, les spéculations sont allées bon train concernant une hypothétique récession économique postolympique. Beaucoup redoutent que la fin des dépenses consacrées aux Jeux provoque l’éclatement de la « bulle » immobilière et le recul de la consommation domestique. D’ailleurs, la Bourse de Shanghai n’en finit pas de dégringoler depuis le mois d’octobre 2007 et, dans des secteurs importants comme le textile, les faillites d’entreprises se multiplient. Les manifestations de salariés mécontents de la modicité de leurs salaires et de paysans expropriés indûment par les cadres du Parti communiste aussi.
Cousu d’or
Mais les experts ne croient guère à un coup de blues économique durable. D’abord, parce que la contribution des Jeux au produit intérieur brut chinois est minime : de l’ordre de 0,3 % pour les uns, de 0,05 % pour d’autres. Ensuite, parce que le ralentissement annoncé par les prévisionnistes du Fonds monétaire international (FMI), pour cause de crise américaine des subprimes, devrait rester limité, le taux de croissance passant d’un peu plus de 11 % à quelque 9 % – ce qui n’est quand même pas rien !
Enfin, la Chine terminera l’année 2008 avec un excédent budgétaire de 90 milliards de dollars. Largement de quoi financer un éventuel plan de relance, que les rumeurs évaluent entre 30 milliards et 60 milliards de dollars et qui pourrait prendre la forme d’exemptions fiscales et de mesures de soutien au marché immobilier.
Ici, la démesure n’est pas seulement sportive. Elle est aussi économique. La Chine dispose de réserves financières supérieures à 1 500 milliards de dollars et qui augmentent au même rythme que les exportations (+ 22 % d’une année sur l’autre).
Pas de souci donc pour le pays le plus peuplé et le plus cousu d’or du monde ! Reste à espérer qu’il mobilisera un jour ses talents et ses richesses au profit d’une démocratie qui ne va pas sans respect des droits de l’homme et des libertés publiques. Il y gagnerait la considération internationale que ni sa puissance économique ni son excellence olympique ne peuvent lui valoir à elles seules. Les Jeux de Pékin étaient remarquables. Ils ne suffisent pas.
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