Gabon : ce qui se cache derrière l’opération anticorruption Mamba

Deux anciens ministres, des hauts fonctionnaires influents, l’ombre d’un ex-conseiller tout-puissant, un homme d’affaires italien… Le premier procès de l’opération Mamba, qui reprend ce mardi, pourrait marquer un tournant politique autant que juridique.

Ali Bongo Ondimba au sommet Union Européenne-Afrique, à Abidjan, Côte d’Ivoire, le 29 novembre 2017. © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Ali Bongo Ondimba au sommet Union Européenne-Afrique, à Abidjan, Côte d’Ivoire, le 29 novembre 2017. © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 20 mars 2018 Lecture : 4 minutes.

Le mamba noir, redoutable prédateur arboricole, apprécie particulièrement les zones boisées, où il passe pour être l’un des plus mortels serpents de la planète. Son équivalent juridique, initié par le président Ali Bongo Ondimba (ABO), début 2017, est quant à lui plus à l’aise en milieu urbain. Sous les ors des palais, il a choisi le marigot politico-financier de Libreville comme terrain de chasse.

Opération anti-corruption lancée depuis le sommet de l’État, Mamba a affiché très tôt une préférence pour les proches de l’ancien directeur de cabinet du président, Maixent Accrombessi. Les arrestations de l’ex-ministre des Infrastructures Magloire Ngambia (dont le procès devrait s’ouvrir entre la mi-mai et le début du mois de juin) et de son collègue du Pétrole, Étienne Dieudonné Ngoubou, qui entretenaient avec lui des liens extrêmement étroits, ont ainsi sonné comme une volonté de mettre fin à la toute-puissance de « Maix ».

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L’ombre de ce dernier plane donc au-dessus de la Cour criminelle spéciale, où l’opération Mamba a vu s’ouvrir, le 15 mars, le procès de son premier accusé, Blaise Wada. Écarté des affaires et diminué par un accident vasculaire cérébral en 2016, Accrombessi n’a toutefois pas été inquiété au Gabon. Selon des indiscrétions au Palais du bord de mer, son ancien chef considère qu’il a, au pire, été induit en erreur par de mauvais conseillers. L’ex-« dircab » est, au moins pour le moment, à l’abri du venin.

« Peu de gens sont inquiétés »

En marge de son opération mains propres, Ali Bongo Ondimba a toutefois procédé à des changements de taille dans les équipes qui l’entourent, au sein du gouvernement, de l’administration et de son cabinet, où il a nommé en septembre 2017 Brice Laccruche Alihanga. ABO a fait savoir qu’il comptait reprendre en main les affaires. Nouvelle ligne de communication : il décide seul et les mauvais conseillers seront châtiés.

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Mais est-ce efficace ? Les doutes sont nombreux. En coulisses, on considère que Mamba choisit ses proies de manière un peu trop sélective. « L’opération ne semble pas destinée à s’intéresser à tous les actes d’enrichissement illicite », regrette un observateur politique. « On croyait que cela allait aboutir à un grand ménage mais, en réalité, peu de gens sont inquiétés, malgré les enquêtes et les témoignages », poursuit-il.

La Cour ne juge que les boucs émissaires

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« Il faut qu’on laisse la Direction générale des recherches faire son travail. Il y a plusieurs dizaines de noms qui seraient apparus lors des investigations, mais va-t-on les entendre ? », s’interroge un autre. « La Cour ne juge que les boucs émissaires. Tant que les propriétaires de Delta Synergie [une holding liée à la famille Bongo] ne seront pas appelés à la barre pour répondre des crimes financiers commis depuis cinquante ans, elle n’aura pas de crédit à mes yeux », dénonce Marc Ona Essangui, militant de la société civile.

L’affaire Santullo en toile de fond ?

L’opération permet « de mettre un terme, ou du moins de freiner, l’impunité qui constitue la principale cause de non-développement de notre pays », tempère Dieudonné Minlama Mintogo, ancien candidat à la présidentielle de 2016. « L’opération Mamba n’est pas une opération politique. C’est une opération de justice qui vise à faire en sorte que ceux qui sont en charge de la gestion des affaires publiques rendent des comptes », expliquait quant à lui Alain Claude Bilie By Nze, porte-parole du gouvernement, peu après son lancement.

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« C’est un signal fort de la volonté politique du président de mettre fin à l’impunité », renchérit un proche du palais. Mais peut-elle aller plus loin ? Plusieurs des accusés, comme Magloire Ngambia, Landry Patrick Oyaya, ancien directeur général adjoint de l’Agence nationale des grands travaux d’infrastructures (ANGTI), et Léon Ndong Nteme, auraient notamment eu un rôle à jouer dans le contentieux aux allures d’affaire d’État qui oppose Libreville à l’homme d’affaires italien Guido Santullo.

Patron du groupe Sericom, celui-ci réclame près de 300 milliards de francs CFA d’impayés au Gabon. Mais l’État refuse de payer la somme, estimant que Sericom aurait surfacturé des prestations et obtenu des contrats en corrompant des fonctionnaires. Beaucoup espèrent que la Cour criminelle spéciale aura la latitude de faire toute la lumière sur cette affaire, y compris dans les sphères les plus hautes. « Qui peut croire que Magloire Ngambia a décidé seul d’attribuer les marchés à Santullo ? », s’interroge un proche du dossier.

Réconcilier Ali Bongo avec l’opinion ?

« Ali [Bongo Ondimba] a tout intérêt à pousser la justice à faire le ménage, y compris au PDG [Parti démocratique gabonais, au pouvoir], dont font partie beaucoup d’accusés », analyse un bon connaisseur du dossier. « Cela peut le réconcilier avec l’opinion », ajoute-t-il. « Mais si la Cour criminelle spéciale est perçue comme instrumentalisée et uniquement là pour produire des boucs émissaires, cela risque de se retourner contre le chef de l’État », conclut un diplomate.

Ce procès peut aussi être une boîte de Pandore

Les avocats d’Étienne Dieudonné Ngoubou l’ont d’ailleurs bien compris. Selon eux, aucune preuve n’est venue étayer les charges pesant contre leur client. Ils estiment l’ancien ministre victime d’une « détention arbitraire » depuis plus d’un an. « Ce procès peut aussi être une boîte de Pandore. Les accusés vont forcément avoir le droit à la parole et pouvoir livrer leur version », confie un participant au procès.

Les procès doivent théoriquement être retransmis en direct à la télévision publique. Si la retransmission n’a pas eu lieu le 15 mars, lors de l’ouverture, possiblement à cause des averses torrentielles s’étant abattues sur Libreville, de nombreux Gabonais devraient allumer leur poste de télévision ce 20 mars pour un deuxième épisode qui pourrait être le début d’un grand déballage.

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