Gregory Clemente : Proparco est « sur les bons rails pour atteindre l’objectif de 2 milliards d’euros d’ici 2020 »
Un an après le lancement d’une « nouvelle stratégie » pour Proparco, filiale de l’Agence française de développement spécialisée dans le soutien au secteur privé, Grégory Clemente, son directeur général revient pour Jeune Afrique sur les premiers résultats.
« France is back ». Grégory Clémente, directeur général de Proparco, reprend volontiers la formule lancée par Emmanuel Macron lors du forum économique mondial de Davos, en début d’année. Voilà bientôt deux ans que ce « quadra » est à la tête de la filiale de l’Agence française de développement (AFD) spécialisée dans le secteur privé.
Ce spécialiste de la finance qui a passé dix ans dans les couloirs de l’AFD avant de rejoindre Proparco, a effectué mi-mars sa première visite au Kenya, à l’occasion des quarante ans de l’institution. Jeune Afrique l’a rencontré à Nairobi.
Jeune Afrique : Il y a un an, Proparco se dotait d’une « nouvelle stratégie », et vous affirmiez votre volonté de « doubler le montant des interventions annuelles, qui passeront de 1 à 2 milliards d’euros » à l’horizon 2020. Quel bilan tirez-vous ?
Grégory Clemente : C’est une bonne année. Nous publierons nos chiffres dans quelques semaines, mais je peux déjà vous dire que 1,4 milliard d’euros de financements globaux ont été réalisés en 2017. Ce qui veut dire que nous sommes sur les bons rails pour atteindre l’objectif de 2 milliards d’euros d’ici 2020. La part en equity [fonds propres,ndlr] est également en ligne avec nos prévisions, car nous sommes aux alentours de 300 millions d’euros en 2017, non loin des 500 millions fixés d’ici deux ans.
Selon la feuille de route délivrée par le gouvernement français, l’Afrique se verra allouer près du tiers des financements de Proparco d’ici 2020, à hauteur de 2,7 milliards d’euros. Quelle est la part de l’Afrique de l’Est dans ce total ?
C’est une région importante pour nous, un moteur de l’activité de Proparco et même au niveau du groupe AFD. Le Kenya est depuis longtemps le 3e pays en termes d’exposition du groupe, après le Brésil et le Maroc.
À lui-seul, le pays représente la moitié de nos financements en Afrique de l’Est, avec plus de 700 millions de dollars signés ces dix dernières années. La France est le 2e prêteur bilatéral du Kenya, loin derrière la Chine, mais devant le Japon.
Les Kenyans sont très en avance en matière d’innovation pour apporter des solutions qui n’existent pas dans leur pays
En trois ans, le nombre d’entreprises françaises implantées au Kenya est passé de 35 à une centaine. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Le Kenya est un pays marqué par un esprit entrepreneurial fort. Il présente également une capacité de résilience importante face aux crises politiques. Et puis les Kényans sont très en avance en matière d’innovation, pour apporter des solutions qui n’existent pas dans leur pays. C’est le cas d’entreprises comme M-Pesa. Proparco compte soutenir davantage l’innovation en Afrique dans les prochaines années.
L’une des priorités que vous avez fixé est le soutien à l’off-grid, le développement de solution de production d’énergie dans les zones non couvertes…
Tout à fait. Le Kenya est d’ailleurs un modèle en la matière, avec des sociétés telles que M-Kopa qui propose des kits solaires pour amener de l’électricité dans les régions non électrifiées du pays.
Le bureau de Proparco en Afrique de l’Est a depuis peu désigné une personne qui se concentre uniquement sur l’off-grid dans la région, avec vocation de couvrir tout le continent à terme. Notre objectif est d’investir 25 millions d’euros sur les deux à trois prochaines années dans l’off-grid via des prises de participations minoritaires de l’ordre de 2 à 5 millions d’euros.
S’agira-il d’investissements directs ?
Pas tout de suite. Le secteur des off-grid est encore jeune et Proparco n’a pas assez de recul sur ce nouveau business. Nous passons donc par des fonds spécialisés comme Energy Access Venture, le temps de nous constituer une véritable expertise et de pouvoir proposer des financements directs.
L’AFD n’intervient plus du tout dans les projets de charbon ou de fuel lourd. Sur le gaz, il y a toujours un débat
La nouvelle stratégie de Proparco met aussi l’accent sur la réduction des émissions de CO2, pour être en ligne avec la COP21. À ce propos, l’ONG Oxfam interpelle l’AFD et Proparco dans un rapport publié en début d’année, et demande au groupe de réduire à néant ses investissements dans les énergies fossiles. Que leur répondez-vous ?
Pour incarner notre mandat climat ambitieux suite à la COP21, plus de la moitié de nos interventions doivent avoir un cobénéfice climat et depuis peu, nous souhaitons que l’ensemble de nos financements soit compatible avec l’accord de Paris.
Les industries extractives, comme le charbon ou le fuel lourd, sont des opérations dans lesquelles le groupe AFD n’intervient plus du tout. Sur le gaz, en revanche, il y a toujours un débat. Dans certains pays, avant de passer par les énergies renouvelables, le gaz peut être un bon relais. Aujourd’hui, Proparco se concentre principalement sur les énergies renouvelables : énergie solaire, ferme éolienne, géothermie comme ici au Kenya. Nous souhaitons être à 100 % avec les accords de Paris.
Avez-vous chiffré vos ambitions dans ce domaine ?
On y travaille. L’AFD est en train d’analyser les objectifs de chaque pays en matière de climat pour s’assurer qu’ils respectent leurs engagements. À partir de là, nous financerons des projets cohérents.
Lorsque nous avons étudié le dossier de Rougier, nous connaissions les difficultés du groupe, mais pas forcément leur ampleur
En matière de protection de l’environnement, le géant du bois Rougier est présenté comme un modèle pour sa gestion durable des forêts en Afrique. L’entreprise est aujourd’hui en dépôt de bilan. En 2017 pourtant, Rougier a bénéficié d’un prêt de 15 millions d’euros de Proparco. Comment expliquez-vous que l’entreprise au bord de la faillite ait pu bénéficier de ce prêt ?
Il était important pour Proparco de soutenir Rougier dans une période délicate. C’est aussi dans l’ADN de notre groupe d’avoir un rôle contrat-cyclique. Rougier est un acteur historique dans l’industrie du bois sur le continent. L’intervention de Proparco, fin 2017, avait pour but d’essayer de sortir l’entreprise d’une passe difficile.
Le dépôt de bilan vous surprend-il ?
Pour l’instant, il s’agit de mesures de sauvegarde. Nous suivons de près la situation du groupe. Lorsque nous avons étudié ce financement l’an dernier, nous connaissions les difficultés du groupe… Mais pas forcément l’ampleur de ces dernières. Le groupe a des arriérés de TVA dans différents pays sur des montants relativement importants. Nous le savions, mais nous espérions qu’une partie de ces arriérés allait être purgée.
Vous voulez dire que Rougier vous a caché l’état réel de ses finances ?
Non, je ne dis pas cela. Je n’ai aucun élément pour l’affirmer. Nous avons fait nos propres due-diligence, et ensuite le port de Douala a été bloqué, ce qui a empiré la situation du groupe.
En 2015, Rougier a acquis une concession de 270 000 hectares dans le sud de la République centrafricaine, à Sangha Mbaéré. Malgré de lourds investissements, aucun grume en provenance de RCA n’est encore sorti d’Afrique. Le prêt alloué par Proparco était-il destiné à développer les activités de cette concession ?
C’était effectivement dans le périmètre de notre financement. Il s’agissait d’un financement « corporate ». Nous savions que cela faisait partie de leur développement, mais notre prêt visait l’ensemble des activités du groupe, pas ce projet-là en particulier.
L’AFD a 5,5 % de crédits douteux, moins que ses homologues néerlandaise et allemande
Que pensiez-vous à l’époque de cet investissement ?
Nous pensions que c’était très bien d’investir en Centrafrique, un pays où il y a très peu d’investissement et avec un vrai problème d’emploi. D’une façon générale, ce projet était lié à leur politique environnementale de gestion durable des forets.
La façon dont Rougier travaille en Afrique est exemplaire d’un point de vue gestion durable de la forêt contrairement à d’autres acteurs… Le prélèvement du groupe est de un arbre par hectare. De plus, c’est un acteur qui emploie beaucoup de personnes sur différents pays et qui accepte de prendre des risques sur un pays comme la République Centrafricaine.
Quelle est la part de crédits douteux chez Proparco ?
Elle est de 5,5 %, ce qui est nettement moins que chez nos homologues de la DEG (agence allemande de développement), de FMO (agence néerlandaise de développement) ou d’autres. Eux sont proches de 10 % de crédits douteux. Depuis quarante ans, Proparco s’efforce de démontrer qu’investir en Afrique est rentable.
Pour conclure, comment qualifieriez-vous les changements impulsés par Emmanuel Macron dans la politique de Proparco et de l’AFD ?
Aujourd’hui, nous avons une feuille de route et un soutien politique très fort pour atteindre les 0,55 % du PIB en matière d’aide au développement d’ici 2022 contre 0,37% aujourd’hui. Un objectif annoncé et réaffirmé par le président de la République.
Deux tiers de l’augmentation de la part du PIB seront couverts par le bilatéral et un tiers par le multilatéral, via la Banque mondiale et les Nations unies notamment. Favoriser le bilatéral au détriment du multilatéral est une dynamique tout à fait nouvelle. Cela donne davantage de visibilité à la France… C’est la première fois que nous bénéficions d’une telle impulsion. « France is back » !
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