Le « Watercoin », une cryptomonnaie pour sécuriser l’accès à l’eau en Afrique

Ce jeudi 22 mars, à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau, la start-up toulousaine O’Claire lance le Watercoin, une cryptomonnaie dédiée à l’achat d’eau potable à bas prix. L’entreprise s’apprête à lever une vingtaine de millions d’euros pour développer son système, notamment en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Kenya.

Sunwaterlife, la société-mère d »O’Claire, a développé un système de filtration de l’eau. © O’Claire

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Publié le 22 mars 2018 Lecture : 4 minutes.

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Blockchain et cryptomonnaies, des technologies pour l’Afrique

Les cryptomonnaies et plus largement les blockchains répondent aussi à des soucis très prégnants à travers le continent africain, qu’il s’agisse d’un faible accès aux services bancaires, d’un manque de transparence dans les chaînes logistiques ou de collecter des financements pour des projets.

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À l’origine de la création du Watercoin, un constat : l’eau potable va devenir une denrée rare, et donc chère, dans les années à venir. La société ambitionne donc d’influencer le prix du cours de l’eau dans les zones où cette problématique deviendra bientôt une urgence, avec un défi de taille : initier un cours mondial de l’eau potable.

L’idée a germé il y a quelques mois dans les locaux toulousains d’O’Claire, filiale de la société de purification d’eau Sunwaterlife. Christophe Camperi-Ginestet, cofondateurs avec Hervé Le Berre, décrit un concept « assez simple », selon ses termes : « J’achète en ligne x Watercoin, sous forme de tokken, des jetons numériques. Et j’échange ensuite ces jetons contre un ou plusieurs litres d’eau potable directement dans un de nos water kiosks en réglant via une carte prépayée ou par mobile ». Il poursuit : « Il y a un besoin dès maintenant, nous devons aller sur le terrain très vite ».

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Et pour « aller sur le terrain vite », la cryptomonnaie est le moyen le plus rapide pour effectuer une levée de fond conséquente. Via une ICO (Initial coin offering), soit la mise en bourse mondiale de ces Watercoin, O’Claire espère lever une vingtaine de millions d’euros pour financer la mise en place d’un réseau de 1 000 kiosks à travers le monde, à raison de 300 en Amérique latine, 300 en Asie, et 400 répartis entre la Côte d’Ivoire (où certains sont déjà en service), le Sénégal et le Kenya.

Une levée en cryptomonnaie pour contourner les contraintes

« Ici, l’utilisation d’une cryptomonnaie est beaucoup plus avantageuse qu’une monnaie traditionnelle », commente Nathalie Janson, professeur d’économie à Neoma Business School, dans le nord-est de la France, et spécialiste des monnaies numériques. « Lors d’une levée de fonds classique, on doit fournir énormément de documents, publier des comptes certifiés depuis une certaine durée. Quand on passe par la cryptomonnaie, on est en dehors des règles et des contraintes légales et la levée de fond est bien plus rapide. »

L’objectif de cette ICO est également de susciter l’intérêt d’investisseurs potentiels – ONG, fondations, gouvernements – grâce à un prix de l’eau potable extrêmement attractif. L’équation est simple : un Watercoin = un Litre d’eau potable = 1 centime. Soit en moyenne, un prix de l’eau 12 à 15 fois inférieur au prix du marché.

Une cryptomonnaie à destination philanthropique ? Pas seulement. Le but du Watercoin est de sécuriser l’accès à l’eau en contournant toute forme de corruption par l’utilisation d’une monnaie dématérialisée, destinée à un usage unique. « C’est cet aspect qui intéresse les fondations, détaille Christophe Camperi-Ginestet. Un Watercoin, c’est comme un litre d’eau dans la main. Ça ne deviendra pas de la bière, ça ne deviendra pas une roue de 4X4 ou autre. Il ne peut pas y avoir de détournement de son usage. »

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Face au scepticisme des investisseurs

Au delà de l’ambition sociétale, la démarche se veut écologique. Pour réaliser son objectif de 500 millions de litres d’eau produits par an, O’Claire s’appuie sur une technologie déjà existante : des water kiosks, conçus par sa société mère, Sunwaterlife. Grâce à un système de filtration, ces kiosks peuvent traiter jusqu’à 1000 L d’eau contaminée par heure. Le tout grâce aux énergies renouvelables, car la pompe est entièrement alimentée grâce à un panneau solaire.

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L’atout principal de ce système : il permet une implantation dans les zones rurales reculées où l’accès à l’eau est un enjeu majeur. L’empreinte carbone est ainsi limitée via un circuit de distribution court permis par la multiplication de petites unités de production décentralisées. Dernier enjeu : limiter les déchets plastiques. La distribution de l’eau se fera via des bonbonnes consignées de 10 ou 18 litres.

Reste à convaincre maintenant les différents acteurs d’investir. Christophe Camperi-Ginestet le reconnaît lui-même, le Watercoin pâtit de la mauvaise image associée à la cryptomonnaie : « Quand on a démarché, il y avait des sceptiques. C’est assimilé au Bitcoin, spéculatif et peu transparent, et ça fait peur. Mais c’est comme le début d’Internet, ça paraît fou, il y a des gens qui y croient et ceux qui n’y croient pas. »

Gouvernements et ONG en cibles privilégiées

La jeune entreprise s’emploie à convaincre les sceptiques. Ses fondateurs confient que deux gouvernements ouest-africains se sont dits intéressés pour investir, mais préfèrent attendre une signature effective pour communiquer davantage.

Les ONG sont aussi des cibles privilégiées pour O’Claire. C’est le cas de la fondation Magic System, fondée par le groupe éponyme et basée en Côte d’Ivoire. « Nous sommes sensibles aux thématiques liées à l’éducation et ce système nous permettrait d’alimenter les écoles en eau, y compris dans les zones les plus reculées », glisse Jean-Louis Boua, son directeur exécutif. Le montant final de l’investissement prévu est encore à l’étude.

Aujourd’hui, l’enjeu de l’accès à l’eau est de taille: 1,8 milliard de personnes utilisent une source d’eau potable contaminée par des matières fécales, ce qui les expose au choléra, à la dysenterie, la typhoïde ou encore la polio. 842 000 personnes meurent chaque année d’un assainissement de l’eau insuffisant, estime l’OMS.

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