Césaire en oratorio

Au terme de longues années de travail, Bernard Ascal sort une adaptation musicale du Cahier d’un retour au pays natal. Époustouflant.

Publié le 2 septembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Senghor a dit que « le poème n’est accompli que s’il se fait chant ». C’est d’autant plus vrai pour ceux de ses textes qu’il a fait précéder d’indications relatives aux instruments (kora, balafon, khalamÂ) susceptibles de les accompagner. Rien de tel chez son vieux compagnon Aimé Césaire. Cela n’a pas empêché un intrépide artiste, le Français Bernard Ascal, de se lancer dans l’aventure et de mettre en musique Cahier d’un retour au pays natal, ÂÂÂuvre maîtresse du poète martiniquais décédé le 17 avril dernier. Un long poème écrit en 1939 (avant de trouver sa forme définitive en 1956) dans lequel, comme l’a écrit l’universitaire belge Lilyan Kesteloot, Césaire « a pu assumer dans le même élan d’amour et de révolte les Nègres des Antilles et ceux des États-Unis, ceux de l’Afrique et de l’Europe, ceux du passé et ceux du présent, les esclaves et les héros ».
Bernard Ascal, lui, le considère comme l’un des textes majeurs de l’expression française du XXe siècle et n’hésite pas à le comparer aux Tragiques d’Agrippa d’Aubigné et à La Légende des siècles de Victor Hugo. Auteur, chanteur, compositeur, peintre, ce touche-à-tout de génie n’en est pas à son coup d’essai en matière d’adaptation musicale. À son répertoire, des albums et des spectacles inspirés par le meilleur de la poésie francophone contemporaine. Son premier CD, enregistré en 1997, est consacré aux surréalistes, parmi lesquels Michel Leiris, Benjamin Péret, Philippe Soupault. Suivront, en 1999, « Année du Maroc en France », L’Étreinte du monde, tirée de l’ÂÂÂuvre d’Abdellatif Laâbi (enregistrée sous forme de CD en 2001), puis, en 2002, Tout l’espoir n’est pas de trop, anthologie réunissant des poèmes de douze auteurs « francophones », dont l’Algérien Tahar Djaout, le Mauricien Édouard Maunick, les Ivoiriennes Véronique Tadjo et Tanella Boni, et, déjà, Aimé Césaire.

Elans épiques
Dans la foulée, en juin 2003, à l’occasion du 90e anniversaire de l’ex-député-maire de Fort-de-France, il présente à Paris un récital comportant de larges extraits de Cahier d’un retour au pays natal. Puis, trois ans plus tard, en 2006, il sort un CD audio, Senghor, Césaire, Damas, en hommage aux trois fondateurs du mouvement de la négritude.
Bernard Ascal avait donc eu le loisir de se familiariser avec le poème-fleuve de l’écrivain martiniquais. Mais cela ne lui paraissait pas suffisant tant il était impressionné par la complexité de Cahier, où l’auteur change régulièrement de rythme, alternant élans épiques et échos intérieurs, mêlant le « je » et le « nous », le subjectif et le collectif. Il a voulu s’en imprégner complètement en l’apprenant par cÂÂÂur, non sans avoir recherché le sens des mots rares, abondants dans ce texte et lui donnant une bonne part de sa force poétique.
Il lui faudra deux années pour mener à son terme le projet. Finalement, le poème prend la forme d’un oratorio, constitué de vingt-cinq séquences chantées et de trente-quatre séquences dites, dont vingt-cinq avec un accompagnement instrumental (piano, guitare, violoncelle, contrebasse). Césaire, avec lequel Ascal a eu de nombreux échanges, ne cache pas sa satisfaction. La mort, hélas, viendra le faucher avant que l’album voie le jour.
Bernard Ascal démontre une fois de plus que la poésie s’écoute autant qu’elle se lit. Alors, écoutons « le plus grand monument lyrique de ce temps », comme l’a qualifié André Breton, et remémorons-nous cette entrée en matière tonitruante :
« Au bout du petit matinÂÂÂ
Va-t’en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache, va-t’en je déteste les larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance. Va-t’en mauvais gris-gris, punaise de moinillon. »

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