Combat de coqs au bord du gouffre
Depuis le départ de Musharraf, Asif Ali Zardari et Nawaz Sharif se disputent bec et ongles le pouvoir. Tandis que les djihadistes attendent leur heure.
La démission-destitution du président Pervez Musharraf, le 18 août, débouchera-t-elle sur la mise en place d’un pouvoir civil et la restauration de la démocratie au Pakistan ? Oui, en principe. Le problème est que l’alliance quadripartite qui dirige le pays depuis six mois est minée par de graves dissensions qui l’empêchent de s’attaquer sérieusement aux difficultés de l’économie et, surtout, au terrorisme islamiste. Entre Nawaz Sharif, de la Ligue musulmane, aile Nawaz (PML-N), et Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto, qui a pris les rênes du Parti populaire du Pakistan (PPP) depuis l’assassinat de son épouse, en décembre 2007, les rivalités s’exacerbent. Tout, il est vrai, oppose les deux hommes.
Sharif est originaire du Pendjab, l’État le plus peuplé et le plus industrialisé du pays. Fils d’un grand industriel, c’est un chaud partisan de l’économie de marché, proche des cercles les plus conservateurs de la bourgeoisie industrielle. Il a commencé sa carrière politique en 1981, sous le régime militaire de Zia ul-Haq. Dépourvu de charisme mais réputé bon gestionnaire, il fut deux fois Premier ministre (1990-1993, puis 1997-1999), tenta de s’opposer à la toute-puissance de l’armée et fut finalement renversé par Musharraf. Son gouvernement de centre droit fut accusé d’entretenir des liens ambigus avec les partis islamistes.
Grands propriétaires terriens de la province du Sind, les Bhutto dirigent à l’inverse un parti laïc nettement ancré à gauche. Entré en politique dans le sillage de Benazir, épousée en 1987, Zardari fut pour sa part ministre à deux reprises (1988-1990, puis 1993-1996), mais laissa un souvenir détestable. Accusé de chantage, de corruption et même de meurtre, il fit onze ans de prison avant d’être autorisé à partir en exil. Revenu au Pakistan après l’assassinat de son épouse, qui l’avait désigné comme son successeur à la tête du PPP, il est habilement parvenu à constituer un large front anti-Musharraf incluant le parti de Sharif. Vainqueur des dernières législatives, il gouverne de facto le pays depuis le mois de février.
Fondée sur une commune aversion pour le dictateur, l’alliance entre les frères ennemis n’a pas résisté à la chute de ce dernier. Leurs divergences éclatent au grand jour. Elles concernent en premier lieu l’éventuel rétablissement dans leurs fonctions d’une soixantaine de juges à la Cour suprême évincés par Musharraf, le statut et le mode de désignation du futur président et la place de l’armée.
L’annonce de la candidature du chef du PPP à la présidentielle du 6 septembre a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : le 25 août, Sharif a claqué la porte du gouvernement et désigné son propre candidat, présenté comme « non partisan » conformément à l’accord conclu avec Zardari – et non respecté par celui-ci. Problème : la PML-N est loin d’avoir la majorité au sein du collège électoral (les membres des deux chambres du Parlement et ceux des quatre assemblées régionales) chargé d’élire le futur président, au scrutin indirect.
L’accession de Zardari à la magistrature suprême apparaît donc comme une quasi-certitude, même si, selon le Financial Times, il aurait été récemment soigné aux États-Unis pour de graves problèmes psychiques. Quoi qu’il en soit, il aura besoin, une fois élu, du soutien de son rival pour faire échec à la menace djihadiste : depuis un an, les opérations terroristes ont fait près de 1 200 morts.
Poussée par les Américains, qui menaçaient de reprendre leurs bombardements dans les zones tribales du Nord-Ouest, à partir desquelles les talibans afghans multiplient les attaques contre la coalition internationale, l’armée pakistanaise a, il y a trois semaines, lancé une vaste offensive pour reprendre le contrôle de ces régions. En représailles, les talibans pakistanais ont perpétré plusieurs attentats particulièrement meurtriers et menacé de lancer des kamikazes à l’assaut des grandes villes. Interrogé par la BBC, Zardari a reconnu que lesdits talibans avaient pris le dessus sur l’armée. « C’est une insurrection, une guerre idéologique, a-t-il indiqué. Le problème ne concerne pas seulement le Pakistan et l’Afghanistan, mais le monde entier. »
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