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Fest’Africa fêtait cette année ses dix ans d’existence. Un succès dû à la volonté du Tchadien Nocky Djedanoum et de l’Ivoirienne Maïmouna Coulibaly.

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 6 minutes.

L’aventure commence il y a plus d’une dizaine d’années. Deux jeunes Africains débarquent à Lille pour y suivre les cours de l’École supérieure de journalisme (ESJ). Le premier, Nocky Djedanoum, vient du Tchad, après un détour par une école de cinéma de l’ex-URSS et par l’IUT de Bordeaux. Il précède d’une promotion l’Ivoirienne Maïmouna Coulibaly, sa future compagne et collaboratrice (choisissez l’ordre vous-même). Maïmouna, elle, arrive directement du pays natal, avec en poche une licence de lettres modernes et une première expérience journalistique à Ivoir’ Soir, un quotidien d’Abidjan. Les deux ne mettent pas longtemps à découvrir l’ignorance de leurs camarades français quant aux réalités africaines. Les personnes qu’ils fréquentent en dehors de l’ESJ en savent encore moins. « C’était vraiment effarant, raconte Maïmouna. Les gens savaient à peine qui était Léopold Sédar Senghor. » Ils en discutent avec d’autres étudiants africains de l’ESJ. Tous sont d’accord pour faire quelque chose. C’est ainsi qu’est née, en 1992, Arts et Médias d’Afrique, association promotrice de Fest’Africa, le festival des littératures négro-africaines dont la première édition verra le jour en novembre 1993.
Au début, nos amis n’ont pas un kopeck de fonds propres. Comment donc mettre en musique leurs bonnes intentions ? Ils commencent par s’adresser à la mairie, puis au conseil général. Mais la nécessité d’une telle manifestation à Lille n’est pas aussi évidente pour leurs interlocuteurs. Ils doivent argumenter, convaincre du bien-fondé de leur projet et surtout de leurs capacités à gérer. Il s’agit tout de même des deniers publics. Leur détermination est telle que les portes s’ouvrent de plus en plus, année après année. Même celles de l’Union européenne devenue depuis l’un des principaux sponsors de Fest’Africa. Et le festival, qui a lieu tous les ans au mois de novembre, a fêté cette semaine son dixième anniversaire.
Les premiers temps, l’envie d’agir compense le manque d’expérience. Et si la première édition ne compte que quatre auteurs, ceux-ci – dont trois des prestigieuses éditions du Seuil – représentent néanmoins la crème des lettres africaines du moment : Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi (décédé en 1995), Tierno Monénembo et Jean-Jacques Nkolo. Depuis, le nombre des invités ne cesse de croître. Pas moins de quarante écrivains, chiffre record du festival, débarquent à Lille pour l’édition 2000. Ils arrivent désormais par flots continus des quatre coins de la « négritude ». Les stars, le Prix Renaudot Kourouma par exemple, côtoient les débutants. Et ça débat, ça palabre, ça signe des bouquins et, parfois en passant, des pétitions. Comme en 1995, pour demander l’élargissement de l’écrivain nigérian Ken Saro-Wiwa qui sera malgré tout pendu. Mais le festival ne se limite pas à l’étiquette « négro-africaine ». Très vite il s’ouvre aux Maghrébins et aux Français. Tahar Bekri, Abdelkader Djemaï, Didier Daeninckx, Éric Fottorino… figurent ainsi parmi les invités.
Et ça marche. Les professionnels concernés, libraires, éditeurs, bibliothécaires et profs de lettres collaborent. Quant au public, il répond en masse. Les gens viennent de toute la région, de Paris, de Bruxelles… Européens et Africains mêlés. « C’est simple, dit un vieux monsieur, j’attends le mois de novembre pour faire mes emplettes. » Pour la seule année 2000, par exemple, le salon accueille pas moins de 9 000 visiteurs en quatre jours.
Très vite aussi, les organisateurs ont compris la nécessité de se renouveler pour survivre. Fest’Africa devient dès lors pluridisciplinaire, d’autres activités venant se greffer sur le salon du livre. Écrivains, mais également conteurs interviennent dans les lycées et les collèges de la région. Animent des ateliers. Tandis que les rencontres cinématographiques, comme ce fut le cas l’année dernière, alternent avec les représentations théâtrales. La musique non plus n’est pas de reste. Le festival reçoit Ray Lema, Salif Keïta, Ismaël Lô, Francis Bebey, etc.
Aujourd’hui, l’association, qui a lancé la première édition du festival avec la somme dérisoire de 30 000 euros, gère un budget annuel moyen de 180 000 euros. Elle continue cependant de faire appel, en fonction des activités, à des contractuels et des à bénévoles, et n’emploie que trois permanents dont le couple Maïmouna-Nocky. À suivre ces deux-là, on s’aperçoit que les rôles sont tacitement définis. La silhouette débonnaire de Nocky, l’homme à l’éternel sourire accroché aux lèvres, cache un gros bosseur. Qui ajoute à son travail de directeur artistique de Fest’Africa celui de poète et de dramaturge. Sa dernière pièce, Le Sextirpateur, a été ainsi présentée à N’Djamena dans le cadre de Fest’Africa sous les étoiles, du 24 octobre au 2 novembre. Bref, c’est le créatif du couple, qui dégaine une idée à la minute. Maïmouna, elle, les enracine dans le concret. C’est la travailleuse de l’ombre. Et si elle laisse l’impression de se tenir en retrait, elle n’est pas moins la cheville ouvrière de l’organisation. Cette femme d’au moins 1 m 75 n’a pas peur non plus d’aller au charbon. Il faut la voir pousser la gueulante quand les choses ne se passent pas comme elle le souhaite. L’envie de voir l’Afrique plus dynamique est telle qu’elle en devient parfois cassante, voire agressive. Mais elle n’en reste pas moins femme, sursaute et tombe presque dans les pommes à la vue d’un lézard ou de l’un des énormes insectes de N’Djamena qu’on croirait élevés aux hormones.
Bref, sans ces deux piliers, le festival aurait bien du mal à exister. C’est peut-être d’ailleurs ce qu’on peut leur reprocher : ne pas savoir déléguer. Pareils à des gérants d’une PME qui seraient incapables de franchir le pas de la grande entreprise. Le manque de bras est parfois à l’origine de couacs pas toujours appréciés des invités. Eux évoquent la précarité, voire la faiblesse du budget. « Tout cela reste fragile, expliquent-ils en choeur. Il s’agit de renouveler l’exploit tous les ans. D’aller frapper aux mêmes portes, au risque de se les voir fermer au nez, en fonction des élections et de l’équipe administrative en place. » D’ailleurs, ils n’ont toujours pas réussi à obtenir de la mairie de Martine Aubry un lieu d’accueil et des bureaux à la dimension du festival.
Fest’Africa est aujourd’hui le principal rendez-vous des littératures d’Afrique et des Caraïbes en France, voire en Europe. De plus, depuis trois ans, l’association Arts et Médias d’Afrique étend ses activités hors des frontières françaises. En 2000, par exemple, émus par le génocide du Rwanda, les animateurs lancent l’opération « Rwanda : écrire par devoir de mémoire ». Une dizaine d’écrivains, dont le Djiboutien Abdourahman Waberi et la Franco-Ivoirienne Véronique Tadjo, partiront en résidence à Kigali pendant un mois et demi. L’initiative donnera lieu à un ouvrage collectif et à plusieurs livres individuels. L’association a récidivé l’été dernier en emmenant un autre groupe d’auteurs en résidence aux deux Congos. Mais ce qui aura le plus marqué cette année 2003, c’est la tenue à N’Djamena, du 24 octobre au 2 novembre, de « Fest’Africa sous les étoiles » pour fêter les dix ans du festival. Plus d’une soixantaine d’écrivains, de critiques et de journalistes, une troupe de théâtre et des groupes musicaux ont ainsi fait le déplacement. Et donné la réplique aux dizaines d’artistes locaux. C’est ce qui explique que la dixième édition lilloise a rassemblé moins d’auteurs.
Une chose est sûre toutefois : l’histoire des littératures d’Afrique et de ses diasporas, toutes langues confondues, est en train d’écrire une de ses pages au cours de ces rendez-vous annuels de Lille. Et gageons qu’elle retiendra les noms du couple Djedanoum-Coulibaly parmi ceux qui auront contribué à les promouvoir en France et, chose rare, sur le continent même.

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