Sharon contesté par les siens

Si le Premier ministre peut ignorer les sondages défavorables, il lui sera plus difficile de faire fi de la sourde opposition qui commence à naître dans des cercles qui lui sontthéoriquement acquis.

Publié le 2 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Un vent de fronde soufflerait-il sur Israël ? Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir il y a trois ans, Ariel Sharon doit faire face à un feu nourri de critiques, y compris dans son propre camp. Signe que les temps ont changé, la population elle-même, qui jusque-là lui avait apporté un soutien sans faille, ne le suit plus : d’après un sondage publié le 10 octobre dans le quotidien Ma’ariv, 55 % des Israéliens désapprouvent désormais sa politique. Nombre d’entre eux ont d’ailleurs déserté les élections municipales du 28 octobre, qui ont enregistré un taux d’abstention record de 40 %.
Si le Premier ministre israélien peut ignorer les sondages, il lui sera plus difficile de
fermer les yeux sur la sourde opposition qui commence à naître dans des cercles qui lui
sont théoriquement acquis, comme l’armée, le Likoud son propre parti et certains de
ses alliés au gouvernement. Il doit désormais faire face sur tous les fronts.
Véritable choc pour l’État hébreu, des caciques de Tsahal sont ainsi sortis de leur réserve pour dénoncer publiquement la politique sharonienne. C’est là une grande première qui en dit long sur l’ampleur de la crise. Il y a eu tout d’abord, en septembre, « la révolte des pilotes » israéliens (voir J.A.I. n° 2229, p. 28). Dans un geste qui a défrayé la chronique, vingt-sept d’entre eux ont signé une pétition pour dénoncer les opérations d’« assassinats ciblés » au cur des villes palestiniennes. Contestant la stratégie de l’état-major de Sharon, ils se sont engagés à ne plus « obéir à des ordres illégaux et immoraux » qui conduisent au meurtre de femmes et d’enfants palestiniens.
L’affaire a eu d’autant plus d’impact que les pilotes de chasse constituent un corps
d’élite, une sorte d’aristocratie de référence. Parmi les signataires figure le général
Yiftah Spector, héros de la guerre des Six-Jours et véritable légende vivante de Tsahal.
Ce fut ensuite au tour du chef d’état-major en personne, Moshe Yaalon, de s’en prendre à la politique sécuritaire du cabinet Sharon. Le numéro un de l’armée, classé à droite et peu suspect de sympathie à l’égard des Palestiniens, n’y est pas allé par quatre chemins. Le 28 octobre, il a réuni les plumes les plus célèbres de la presse israélienne pour dresser la liste des erreurs du Premier ministre : les Territoires sont « au bord du
gouffre » du fait des bouclages, ce qui « accroît la haine envers Israël et renforce les terroristes ». Et d’ajouter que « nos décisions tactiques jouent contre nos intérêts stratégiques », avant de dénoncer la responsabilité de Sharon dans la démission de l’ex-Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas.
Dernier affront en date, et non des moindres : quatre anciens chefs du Shin Beth (services de sécurité intérieure) ont pris une initiative radicale. Le 14 novembre,
Yaakov Perry, Avraham Shalom, Ami Ayalon et Carmi Gilon ont publié une tribune alarmiste dans le Yedioth Aharonot, un des quotidiens israéliens les plus lus, notamment dans les milieux proches de Sharon. Véritable réquisitoire contre le Premier ministre, l’article,
intitulé « Nous craignons pour la survie d’Israël », pourfend le délire militariste sharonien qui « conduit l’État hébreu tout droit à sa perte ». À leurs yeux, l’unique
question que se pose le chef du gouvernement est : « Comment empêcher la prochaine attaque terroriste ? » alors que la seule qui intéresse vraiment les Israéliens est « Comment se sortir de ce bourbier ? ». Pour les quatre anciens chefs du Shin Beth, la réponse est pourtant claire. Pas de solution pour Israël en dehors d’un retrait total de la bande de Gaza et de la plus grande partie de la Cisjordanie, même s’il faut pour cela faire la guerre aux colons.
Au sein même du Likoud, l’heure de la bataille pour l’après-Sharon semble déjà avoir sonné, et des voix se sont même élevées pour suggérer que le Premier ministre pourrait ne pas aller jusqu’au terme de son mandat. Miseptembre, une première offensive a donné le ton à l’occasion du vote du budget. Trois ministres likoudniks ont voté contre : le vice-Premier ministre Ehoud Olmert, le ministre de la Défense Shaul Mofaz et son homologue de l’Éducation Limor Livnat. Mais pour que Sharon s’en aille, il faudrait soit une motion de censure votée par la Knesset (ce qui est pour le moment exclu), soit qu’il démissionne, ce qui ne cadre pas avec la psychologie du personnage.
Mêmes « bémols » au sein de la coalition gouvernementale où des désaccords se sont exprimés à propos des choix opérés par Sharon. Fallait-il construire un mur de sécurité entre la Cisjordanie et Israël ? Fallait-il menacer d’éliminer physiquement Yasser Arafat ? Était-il sage ou politiquement efficace de mener un raid en Syrie contre un supposé « camp de terroristes » ? Courant octobre, le truculent ministre de la Justice, Tommy Lapid, patron du Shinoui, deuxième parti du pays avec seize sièges à la Knesset, a lui aussi fait sensation en admettant dans le Yedioth Aharonot que des erreurs avaient été commises. Et que si l’initiative de Genève a pu avoir lieu, c’est aussi parce que Sharon a créé un vide politique.
Cette migration de certains « sionistes de droite » vers le camp des anti-Sharon est un phénomène nouveau qui place le Premier ministre dans une position inconfortable. Une évolution qui pourrait tenir lieu d’électrochoc pour la gauche institutionnelle, atone
depuis trois ans.
Le temps de l’unanimisme national fût-il de façade paraît donc révolu. Les refus, les dénonciations, les solutions de rechange émergent peu à peu des quatre coins d’Israël et de la diaspora. Au-delà des clivages traditionnels, ils pourraient dessiner les contours
d’un nouveau « camp de la paix » face au camp de la guerre à outrance, celui de Sharon.

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