11 septembre 2001 : les pièces du puzzle
Grâce aux révélations de deux cerveaux d’el-Qaïda, la CIA en sait désormais beaucoup plus sur la préparation de l’opération.
Deux années. Il aura fallu deux longues années aux services secrets américains pour parvenir à reconstituer le film de la préparation des attentats du 11 septembre 2001. Si l’on en sait désormais plus sur la genèse de cet « événement », c’est en particulier
grâce aux révélations faites par Ramzi Binalshibh et Khaled Cheikh Mohamed, deux membres actifs d’el-Qaïda impliqués dans l’organisation de l’opération. Arrêtés au Pakistan,
respectivement en septembre 2002 et en mars 2003, Binalshibh et Cheikh Mohamed ne se sont pas montrés avares en aveux une prolixité à mettre sans doute sur le compte des méthodes
de questionnement « persuasives » de la CIA.
Selon les révélations publiées par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel sur la foi des procès-verbaux des interrogatoires, le 11 septembre 2001 n’est que l’aboutissement d’une longue série de tentatives avortées et de projets remaniés. Dans la foulée du premier
attentat contre le World Trade Center, le 26 février 1993, au cours duquel l’explosion d’une bombe de 600 kg placée dans un garage avait fait six morts, plusieurs nouveaux
scénarios d’attaques aériennes, cette fois avaient été élaborés par el-Qaïda. Parmi ceux-ci : l’opération Bojinka, conçue en 1995 par Khaled Cheikh Mohamed et son neveu
Ramzi Ahmed Youssef, lequel avait participé à la première attaque contre le World Trade Center. Ce projet était des plus ambitieux : douze avions de ligne américains, dans lesquels on aurait posé des bombes à retardement, devaient exploser simultanément dans les airs. Mais l’opération Bojinka dut être abandonnée en janvier 1995, lorsque Ramzi Ahmed Youssef déclencha imprudemment un incendie dans son appartement de Manille, aux
Philippines, en manipulant une préparation chimique à base de chlorate de potassium et de sodium. Dans sa fuite, le neveu de Khaled Cheikh Mohamed abandonna un ordinateur portable dans lequel les policiers philippins découvrirent des informations détaillées sur l’organisation de l’opération Bojinka, mais aussi sur plusieurs autres projets de même cru. L’un d’entre eux prévoyait l’assassinat du pape Jean-Paul II lors de sa visite aux Philippines au cours de la même année.
1996 marqua le véritable compte à rebours des attentats du 11 septembre 2001. C’est cette année-là que Khaled Cheikh Mohamed, surnommé « le cerveau » pour son rôle actif dans la plupart des attaques commises par el-Qaïda, suggéra à Oussama Ben Laden une nouvelle
idée : louer un petit aéronef, le bourrer d’explosifs et le confier à un kamikaze pour qu’il le précipite contre une cible américaine préalablement définie, comme, par exemple, le siège de la CIA, à Langley, en Virginie. Ben Laden fut séduit par l’idée, mais il lui fit comprendre qu’il avait d’autres ambitions : « Pourquoi te contenter d’une hache si tu peux utiliser un bulldozer ? » lui aurait-il alors lancé. Plusieurs « variantes » plus spectaculaires furent alors proposées, mais toutes furent rejetées par le chef d’el-Qaïda, qui, soucieux du bon déroulement des opérations, les jugeait trop difficiles à mettre à exécution. Plusieurs idées furent ainsi abandonnées : un détournement simultané de dix avions américains, deux attaques concomitantes, l’une sur la côte est, l’autre sur la côte ouest des États-Unis, ou encore une attaque du même type en deux vagues, en Amérique puis en Asie du Sud-Est. On évoqua même la possibilité d’une attaque de centrales
nucléaires, projet que Ben Laden, qui estimait que de tels sites étaient surprotégés,
écarta rapidement.
C’est en 1999 que le choix définitif des cibles fut arrêté par le « conseil suprême » d’el-Qaïda, qui, autour d’Oussama Ben Laden, regroupait Ayman el-Zawahiri, Abou Zoubeïda,
Ibn el-Cheikh el-Libi, Seif el-Adl et Mohamed Atef. Commença alors la période de « recrutement ». Le chef d’el-Qaïda, qui avait déjà jeté son dévolu sur deux jeunes Saoudiens, Khaled el-Mihdhar et Nawaf el-Hazmi, sélectionna lui-même, parmi des centaines de « candidats », les autres pirates de l’air qui prendraient part aux attentats du 11 septembre. Ben Laden annonça à ses nouvelles recrues qu’elles avaient été choisies pour accomplir une « mission très secrète » répondant au nom de code « Porsche 911 », allusion à la date retenue. Parmi elles figurait Ramzi Binalshibh : mais, faute d’un visa pour les États-Unis, le jeune Yéménite ne put prendre part aux attaques. Il fut cependant, d’une
autre manière, un rouage essentiel dans l’organisation de l’opération, en servant de relais entre le chef d’el-Qaïda et les futurs kamikazes. Ancien employé de l’International Bank of Yemen, il fut également le trésorier de la cellule allemande d’el-Qaïda et contrôlait les mouvements financiers entre la ville de Hambourg, où résidaient
les futurs kamikazes, et l’Afghanistan.
Oussama Ben Laden ne s’est donc pas contenté d’apporter une simple « caution morale » (si l’on peut dire) aux attentats du 11 septembre 2001.
En suivant étroitement chacune des étapes préparatoires, en veillant à maintenir une organisation structurée et efficace, le numéro un d’el-Qaïda a joué un rôle central dans le déroulement des opérations. C’est lui qui, dès le printemps 2000, a sélectionné les « cibles » des attentats ; c’est lui qui a personnellement donné son feu vert au recrutement
des dix-neuf kamikazes. Quelques mois avant le jour fatidique, Ben Laden avait même reçu, chez lui, dans son refuge afghan, les quatre jeunes hommes qui, initialement, devaient piloter les avions Mohamed Atta, Ziad Jarrah, Marwane el-Shehhi et Ramzi Binalshibh. Le chef d’el-Qaïda s’est impliqué dans les préparatifs jusque dans les moindres détails : ainsi a-t-il lui-même recommandé aux futurs kamikazes de détruire leurs passeports afin que leur séjour en Afghanistan ne soit pas découvert. Il leur avait également conseillé de se raser la barbe, histoire de n’éveiller aucun soupçon. Curieux, il leur avait même demandé, avant qu’ils repartent, à quoi ressemblait la vie d’un musulman en Europe. Rien n’a été laissé au hasard pour celui qui, plus de deux ans après les attaques aériennes qui firent plus de trois mille morts, court toujours dans la nature. Car force est de constater que si les Américains disposent enfin du film de la préparation des attentats
du 11 septembre, ils ne semblent pas près de mettre la main sur leur réalisateur.
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