Peur sur la ville

Sous l’effet de l’exode rural et de la croissance démographique, les centres urbains explosent. D’ici à 2007, plus de la moitié de l’humanité vivra en agglomération. Le sujet sera au cur des débats lors de la conférence Africité, du 2 au 6 décembre à Yao

Publié le 2 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

« Nous vivons dans un monde qui s’urbanise. C’est la tendance démographique dominante de notre époque. Et si l’évolution actuelle se confirme, plus de la moitié d’entre nous vivront en ville en 2007. Pour la première fois dans l’Histoire, nous serons une espèce urbaine. » Ce constat établi par Lester Brown(*), le président du World Watch Institute, est particulièrement inquiétant. L’urbanisation est sans doute l’un des plus grands défis du siècle qui commence. Sous le double effet d’un exode rural devenu inexorable et d’une croissance démographique encore mal maîtrisée, les villes explosent. Les populations du globe convergent vers les centres urbains, donnant naissance à de vastes ensembles dont l’expansion est ressentie avec d’autant plus d’inquiétude qu’elle paraît bien souvent hors de contrôle. Alors que les ressources naturelles de la planète s’amenuisent, les concentrations humaines décuplent leurs effets dévastateurs sur un environnement de plus en plus fragile, compromettant le développement durable auquel aspirent les milliards de citadins d’Asie, d’Afrique ou d’ailleurs. Et les prévisions démographiques pour les prochaines décennies ne sont pas optimistes.
L’urbanisation évolue à un rythme exponentiel. En 1950, seulement 30 % de la population mondiale vivait dans les villes, contre 47 % en 2000. Chaque jour, près de 180 000 personnes viennent accroître la population urbaine. Parmi elles, une grande partie vit en dessous du seuil de pauvreté. Selon les estimations des Nations unies, il y aurait près de 1 milliard de pauvres dans le monde, dont plus de 750 millions en zone urbaine, sans logements ni services de base adéquats.
Ce n’est pas un hasard si l’urbanisation galopante est souvent associée à la paupérisation. La population urbaine des pays les moins développés passera de 1,9 milliard en 2000 à 3,9 milliards en 2030. En revanche, les pays industrialisés enregistrent un accroissement urbain très lent, soit de 900 millions en 2000 à 1 milliard d’habitants en 2030. Le taux de croissance démographique mondial pour cette période est de 1 %, tandis que le taux de croissance dans les zones urbaines est pratiquement le double, soit 1,8 %. À ce rythme, la population citadine devrait doubler en l’espace de trente-huit ans.
Le processus d’urbanisation des pays les plus avancés s’est stabilisé, avec environ 75 % de la population totale vivant dans les villes. En 1999, 36,2 % de la population asiatique était urbanisée. Bien que le continent africain soit essentiellement rural, avec seulement 37,3 % de sa population en zone urbaine en 1999, il connaît le taux d’urbanisation le plus rapide. Et d’ici à 2030, l’Asie et l’Afrique rassembleront les plus grandes populations urbaines du monde.
Dans l’absolu, l’urbanisation n’est pas une fatalité. Mais le processus qui conduit à la concentration des populations dans les mégapoles, lui, est particulièrement pernicieux : « Si les premières migrations ont été en grande partie provoquées par l’attrait des centres urbains, elles le sont désormais par l’absence de perspectives dans les campagnes, explique Lester Brown. Dans la plupart des pays en développement, cet exode rural excède de beaucoup la capacité des métropoles à fournir des emplois, des logements, de l’électricité, de l’eau, des réseaux d’égouts et des services sociaux, le tout aboutissant à des communautés de squatteurs où des multitudes de personnes vivent en marginaux, souvent dans des conditions inhumaines. » Sans compter la pression subie par l’environnement : les villes couvrent moins de 2 % de la surface du globe terrestre, mais elles sont responsables de 78 % des émissions de carbone, de 60 % de la consommation d’eau à usage résidentiel, et de 76 % de la consommation de bois à des fins industrielles.
Les nouveaux citadins sont donc confrontés à de multiples problèmes. Outre la pollution et la pression exercée sur les écosystèmes, les ménages subissent quotidiennement les désagréments qu’induisent les réseaux d’assainissement saturés, l’alimentation épisodique en eau et les délestages électriques, les transports en commun bondés ou encore l’insécurité des quartiers populaires. Conçus pour la circulation automobile, les espaces urbains n’ont pas su s’adapter à la paupérisation d’une frange de leurs habitants, contraints de marcher à pied ou d’emprunter les transports en commun. Pour eux, la ville devient chaque jour un peu plus difficile à vivre. Conséquence de cette dégradation de l’environnement, les classes aisées se replient dans des quartiers protégés, renvoyant les moins fortunés vivoter à leur périphérie. Cette schizophrénie collective cause, bien sûr, de terribles ravages en termes de cohésion sociale, aggravant encore un peu plus la fracture sociale. Rejetées dans des ghettos savamment conçus par des architectes à la mode, ces classes laborieuses, jugées dangereuses, sont de plus en plus marginalisées.
Face à la catastrophe sociale engendrée par la pression urbaine, une prise de conscience semble s’amorcer. Politiciens et urbanistes, élus locaux et société civile, bailleurs de fonds et ONG s’investissent de plus en plus dans le développement urbain. Que ce soit en matière d’infrastructures et de services publics, de sécurité, de santé, d’éducation et même de culture, la décentralisation amorcée par de nombreux États ne va pas sans poser certaines difficultés. Néanmoins, ce processus peut se révéler positif dans la mesure il va conduire à responsabiliser les acteurs urbains, en les affranchissant progressivement de la tutelle d’un pouvoir central trop éloigné de leurs préoccupations. Il va également conduire ces acteurs à innover pour concrétiser leurs idées. Dans cette optique, les partenariats public-privé (PPP) sont désormais à la mode, ouvrant de nouveaux horizons en matière de développement urbain. Une manière de permettre aux collectivités locales de prendre enfin leur destin en main.

* Eco-économie : une autre croissance est possible, écologique et durable, par Lester R. Brown, Le Seuil, Paris, septembre 2003, 23 euros.

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