Pays des deux rives, unissez-vous !

Les 5 et 6 décembre, à Tunis, les dirigeants du nord et du sud de la Méditerranée occidentale tenteront de raffermir leur coopération.

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

« Il faut faire en sorte que les peuples du Sud ne perçoivent pas l’Europe comme une forteresse fermée sur elle-même. […] Il ne faudrait pas [qu’ils] aient le sentiment que le projet de mise en place d’une zone de libre-échange [euro-méditerranéenne] soit de nature à créer un paradoxe qui consisterait à ouvrir les frontières aux marchandises, aux produits et aux capitaux, mais à les fermer à la libre-circulation des personnes et des services », déclarait le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, le 1er novembre dernier, dans un discours au symposium international du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) sur le thème « L’espace euro-méditerranéen face à l’élargissement de l’Union européenne ». Le chef de l’État tunisien, qui accueille à Tunis, les 3 et 4 décembre, le président français Jacques Chirac, en visite d’État, puis, les 5 et 6 décembre, le premier sommet des chefs d’État du « Forum 5 + 5 », a-t-il voulu ainsi donner un avant-goût des discussions qu’il allait mener, quelques semaines plus tard, avec ses pairs des rives nord et sud de la Méditerranée ? Sans doute…
Espace de dialogue politique informel entre les pays de la Méditerranée occidentale, le « Forum 5+5 » a été créé sur une proposition du président François Mitterrand, en 1983, à Marrakech, au Maroc. Ce Forum, qui ne doit en aucune manière concurrencer le processus euro-méditerranéen de Barcelone, même s’il aide aujourd’hui à pallier ses défaillances, regroupe la Mauritanie, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye, d’un côté, et le Portugal, l’Espagne, la France, l’Italie et Malte, de l’autre.
Ces pays ont connu de nombreux brassages de populations et de cultures. Leurs histoires nationales s’entrecroisent et leurs préoccupations actuelles se rejoignent. Convaincus de leur communauté de destin, ils ont voulu favoriser la concertation pour accroître leur coopération, conduire des actions de développement à long terme et résoudre les problèmes spécifiques qui se posent à leur sous-région. Le « Forum 5 + 5 » devait leur servir à harmoniser leurs visions de ces problèmes.
Mis en application pour la première fois au niveau des ministres des Affaires étrangères à Rome, en 1990, ce mécanisme de concertation a débouché sur une deuxième réunion, à Alger, en 1991, avant de sombrer dans un long sommeil, à cause notamment de la crise algérienne et de l’embargo onusien imposé à la Libye entre 1992 et 1999. En 2001, la troisième conférence du Forum s’est réunie à Lisbonne, à l’initiative du Portugal. L’année suivante, c’est la Libye qui a accueilli, à Tripoli, les chefs de la diplomatie des « 5 + 5 ». Entre-temps, le cadre institutionnel s’est élargi aux parlementaires, aux ministres de l’Intérieur, à leurs homologues chargés des questions de migration… Cette année, deux sessions au niveau des ministres des Affaires étrangères se sont tenues en France, la première, ordinaire, à Sainte-Maxime, les 9 et 10 avril, et la seconde, extraordinaire, à Saint-Symphorien, le 30 octobre. La prochaine session ordinaire se tiendra à Alger, dans le courant de 2004.
Par ailleurs, les ministres des Affaires étrangères des pays maghrébins ont adopté, le 22 novembre, à Alger, un document – élaboré par les experts et examiné par le comité de suivi, deux jours auparavant, à Tripoli, en Libye – où les cinq pays essaient d’harmoniser leurs positions sur les questions qui seront soulevées au cours du sommet de Tunis.
Ce sommet, auquel tous les chefs d’État ou de gouvernement des pays participants devraient assister, permettra aux dirigeants de la Méditerranée occidentale d’élaborer des stratégies communes de lutte contre le terrorisme international, le crime organisé et les trafics en tout genre, d’étudier les moyens de relancer les investissements des pays du Nord dans ceux du Sud, d’accélérer l’intégration économique régionale et de réguler les échanges humains et les flux migratoires. La lutte commune contre l’immigration clandestine, qui est l’une des priorités des pays de la rive Nord, devrait aller de pair avec une politique d’intégration des migrants dans les sociétés d’accueil et une prise en compte des besoins économiques et sociaux des pays de la rive Sud, soutiennent ces derniers.
Face au développement d’un terrorisme international qui remet en question les conceptions et les instruments traditionnels de la sécurité, face aussi à la situation explosive du Proche-Orient (qu’il s’agisse du conflit israélo-palestinien ou de la crise irakienne) qui pèse sur toutes les relations en Méditerranée et à l’absence de règlement du conflit du Sahara occidental, les pays membres du « Forum 5 + 5 » semblent plus déterminés qu’auparavant à développer un dialogue politique et à collaborer étroitement pour affronter ces périls.
Les pays du Maghreb ont cependant le sentiment que les efforts de coopération entre les deux rives s’affaiblissent dans la tourmente de la crise économique internationale. Ils voient avec inquiétude les pays de l’Europe de l’Est rejoindre l’Union européenne. La tentation est grande de rechercher de nouveaux alliés, d’autant que l’Europe tarde à leur proposer des initiatives concrètes et que le processus de Barcelone ne progresse que très lentement.
Les États-Unis, puissance militaire dominante en Méditerranée, ont entrepris, ces dernières années, des démarches prometteuses en direction des pays d’Afrique du Nord, à l’instar de l’initiative Eizenstadt, du nom du sous-secrétaire au Commerce de l’administration Clinton, qui vise à créer un grand marché maghrébin, et du « Partenariat économique des États-Unis et de l’Afrique du Nord », lancé au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.
La tournée du secrétaire d’État américain Colin Powell, les 2 et 3 décembre, dans les trois pays du Maghreb central, à la veille donc de la visite d’État du président français à Tunis et du sommet du « Forum 5 + 5 », marque l’intérêt que Washington accorde désormais à cette région, devenue un élément clé de sa stratégie de lutte contre le terrorisme, mais aussi dans la « guerre froide » qu’elle mène désormais contre la « vieille Europe », une alliée en passe de devenir une sérieuse rivale.
Le secrétaire d’État américain va discuter avec les dirigeants maghrébins des questions relatives à la sécurité régionale et à l’engagement dans la lutte internationale contre le terrorisme, la promotion des réformes politiques et économiques dans la région, mais aussi la situation en Irak et la « feuille de route » pour le Proche-Orient. Il évoquera aussi avec le roi Mohammed VI et le président Abdelaziz Bouteflika la question du Sahara occidental. En Algérie, il remettra sur la table la demande américaine de facilités militaires dans le sud du pays, une zone de transit de rebelles salafistes appartenant au réseau el-Qaïda. Au Maroc, l’accord de libre-échange entre Rabat et Washington, le premier du genre en passe d’être conclu avec un pays du continent africain, sera aussi au centre de la discussion.

(Voir, pp. 86-90, l’article France-Maghreb.)

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires