Opération « Haricot rouge »

Quand les stratèges du Pentagone se font poètes.

Publié le 3 décembre 2003 Lecture : 2 minutes.

Depuis bien longtemps, les responsables américains ont pris l’habitude d’affubler leurs interventions militaires à l’étranger d’un nom de code – pour ne pas dire d’un titre – délicieusement imagé. Comme s’ils voulaient anticiper le film que Hollywood pourrait, le cas échéant, en tirer. Au Vietnam, par exemple, les chefs du Pentagone, las de voir les combattants du Vietcong s’évanouir dans l’impénétrable jungle tropicale, décidèrent, en janvier 1962, de clarifier la situation en y larguant quelques milliers de tonnes d’herbicides et de défoliants. Avec un goût exquis, l’opération fut baptisée Ranch Hand : « Ouvrier agricole ». Beaucoup d’autres suivront : Arc Light (« Lampe à arc »), Rolling Thunder (« Tonnerre roulant »), Freedom Train (« Train de la liberté »)… En général, il s’agissait d’écraser le Nord-Vietnam sous les bombes.
Les noms de certaines opérations évoquent irrésistiblement quelque film d’aventure à la Indiana Jones : Nimrod Dancer (« Le danseur de Nimrod », Panamá 1989-1990), Desert Storm (« Tempête du désert », Irak 1991), Grapes of Wrath (« Raisins de la colère », Liban, 1996)… D’autres révèlent un tropisme animalier marqué : Hawkeye (îles Vierges, 1989), Red Dragon (Congo, 1964), Red Fox (Corée, 1968-1969), Eagle Pull (Cambodge, 1975)… Faucon, dragon, renard et aigle : une arche de Noé miniature. D’autres encore sont franchement incongrus : Red Bean (« Haricot rouge », Zaïre 1978), Elf-One (« Lutin », Arabie saoudite, 1978-1979)…
Panne d’inspiration ? Désir passager d’éviter toute rodomontade ? Certaines interventions à l’étranger sont présentées de manière strictement descriptive : Deliberate Force (« Force mesurée », Bosnie, 1995), Allied Force (« Force alliée », Kosovo, 1999). Il s’agit, il est vrai, d’opérations menées conjointement avec d’autres pays. Beaucoup révèlent, non sans emphase, l’incurable messianisme démocratique de l’Amérique : Uphold Democracy (« Soutenir la démocratie », Haïti 1984), Just Cause (Panamá, 1989).
Mais il arrive que les croisés de « l’axe du Bien » tombent sur un bec. En 1992, en Somalie, le fiasco de l’opération Restore Hope rendit surtout espoir… aux amis d’Oussama Ben Laden, qui découvrirent à cette occasion la vulnérabilité des forces américaines. Un an plus tôt, en Irak, l’opération Provide Comfort avait elle aussi fort mal tourné. Ayant « réconforté » les Kurdes, les Américains les laissèrent cyniquement massacrer par Saddam Hussein.
Après les attentats du 11 septembre, les représailles engagées en Afghanistan prirent d’abord le nom de « Justice sans limites », avant d’être rebaptisées « Liberté immuable ». Comme la suite l’a démontré, le premier intitulé était le bon : la justice américaine – et la volonté de domination planétaire qui l’accompagne – est véritablement « sans limites ».
Quant à l’opération en cours du côté de Bagdad (Iraqi Freedom), les principaux bénéficiaires ne semblent pas encore entièrement convaincus de ses bienfaits : ingratitude sans limites ! Il est vrai que le nom de code de l’une des « sous-opérations » engagées dans ce cadre (Iron Hammer, « Marteau d’acier ») incite à la circonspection. Reste une énigme. Pourquoi l’offensive engagée dans la région de Tikrit contre les partisans du raïs déchu porte-t-elle le nom d’Ivy Cyclone II (« Cyclone de lierre II ») ? Les métaphores des poètes du Pentagone sont parfois bien absconses.

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