Mi-figue, mi-raisin

Dans son discours du 27 novembre, le chef de l’État s’est voulu apaisant, voire rassurant. Mais n’a rien concédé sur l’essentiel.

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

L’adresse, le 27 novembre, du président Laurent Gbagbo à ses concitoyens était d’autant plus attendue qu’elle couronnait ses déplacements à Libreville le 21, à Bobo-Dioulasso le 26 et à Bamako le 28. Mais si elle s’est voulue apaisante, voire rassurante, elle n’a rien concédé sur l’essentiel. Tout au plus le chef de l’État ivoirien a-t-il lâché, à propos des accords de Marcoussis, feuille de route du processus de réconciliation nationale, que, « malgré les critiques que l’on peut formuler, ces accords ont le mérite de réaffirmer quatre principes fondamentaux qui sont leur raison d’être : la nécessité de préserver l’intégrité territoriale du pays, le respect des institutions de la République, la restauration de l’autorité de l’État, l’accession au pouvoir et son exercice par la voie démocratique ». Il a retenu et rappelé tout ce qui le conforte, lui, et affaiblit les rebelles. Lesquels sont comme ces « enfants qui savent grimper, mais ne savent pas comment descendre » et qu’il faut aider à descendre, en clair à déposer les armes parce qu’ils « sont dans l’impasse, ainsi que la communauté internationale face à la crise ivoirienne ».

Pas un mot, en revanche, sur sa rencontre avec le chef de la diplomatie française Dominique de Villepin chez le président gabonais Omar Bongo, qui, dans la foulée, devait recevoir (avec son accord) le chef de file des rebelles. Rien, non plus, sur sa visite chez son homologue burkinabè Blaise Compaoré, premier tête-à-tête sans témoin depuis l’éclatement de la crise ivoirienne en septembre 2002. Ce n’était peut-être ni le moment ni l’endroit de se laisser aller à des confidences publiques. C’était surtout la preuve de l’habileté d’un homme que près de trente ans d’opposition sans concession à Houphouët-Boigny ont forgé aux subtilités de la politique.
À l’écouter et à le lire attentivement, Gbagbo ne remet pas en cause Marcoussis, il l’applique à sa manière, celle qui lui permet d’apparaître comme quelqu’un qui n’a pas cédé. Sa fierté tout autant que sa perception de la démocratie le lui interdisent. Pour préserver l’une et l’autre, il en a une lecture qui donne aussi quelque gage à ceux de ses partisans les plus va-t-en-guerre. Un exercice de funambule qui n’est pas simple, mais dans lequel il excelle.
Derrière l’annonce des mesures en faveur de la jeunesse (« avant la fin de l’année, […] j’annoncerai des mesures vigoureuses pour la création d’emplois. Ce qui donnera une perspective à nos jeunes et les détournera des armes »), on devine son souci de résoudre le problème des milices. Derrière la réflexion qu’il entend mener sur la réforme en profondeur des forces de défense et de sécurité avant que le ministre de la Défense ne dépose un projet de loi de programmation militaire, certains croient voir une invite aux FANCI (Forces armées nationales de Côte d’Ivoire) à retourner dans les casernes. Même s’il martèle à l’envi la mise en oeuvre sans délai du programme DDR – désarmement, démobilisation, réinsertion -, il sait que celui-ci ne peut être unilatéral. Et si tout cela était le fruit de Libreville et de Bobo-Dioulasso, avant Bamako et après Accra le 11 novembre ?
Une certitude : dans la capitale gabonaise, Bongo et Villepin l’ont fermement encouragé – et il leur avait fait espérer quelque succès – à permettre à son Premier ministre Seydou Elimane Diarra de se mettre au travail et à son gouvernement de donner sa pleine mesure. Sans dire clairement qu’il laisserait les coudées franches à Diarra, Gbagbo a indiqué qu’il avait nommé un Premier ministre de consensus auquel il a « délégué les pouvoirs dont il a besoin pour que le gouvernement de la République fonctionne et travaille au retour de la paix ». Qu’il avait formé un gouvernement de réconciliation nationale équilibré, composé de ministres issus des partis politiques signataires des accords de Marcoussis, des mouvements rebelles et de la société civile. Et que, le 27 novembre, le Conseil des ministres avait déjà engagé « les discussions sur les lois suggérées par les accords de Marcoussis » : la libre circulation des personnes, le droit de résidence et d’établissement dans les pays de la CEDEAO ; le code de la nationalité ivoirienne ; l’article 35 de la Constitution (relative aux conditions d’éligibilité) ; l’identification de la population ; la carte nationale d’identité ; le domaine foncier rural ; l’enrichissement illicite…
Tout est là, mais, à l’évidence, tout n’est pas réaffirmé comme s’y attendaient Bongo et Villepin. Ou comme pouvait l’espérer Compaoré, qui a reçu Gbagbo dans son pied- à-terre bobolais pour des retrouvailles entre deux camarades, avec chaudes poignées de main, accolades, promenade dans le jardin, déjeuner en tête à tête, le tout couronné de trois heures d’entretien. Avec, aussi, la présence, dans la délégation de Gbagbo – tout un symbole – de l’épouse de Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale et pourfendeur des accords de Marcoussis et du rôle supposé du Burkina dans l’éclatement de la crise.
Les Burkinabè ont compris le message. Mais Compaoré n’en a pas moins rappelé à son hôte le sort encore réservé à ses compatriotes et dont la dernière manifestation serait la chasse qui leur est faite dans la région de Gagnoa (Centre-Ouest). Gbagbo s’est engagé à assurer « la sécurité des biens et des personnes et des communautés étrangères vivant en Côte d’Ivoire ». Tous deux ont insisté sur la « nécessité d’étendre l’autorité de l’État ivoirien sur l’ensemble du territoire national ». Ce qui signifie « la libération des zones occupées, le redéploiement de l’administration, la reprise de la vie économique, sociale, politique et culturelle sur toute l’étendue du territoire… ». En tout cas, c’est la seule sortie honorable que Gbagbo semble vouloir laisser à Guillaume Soro et à ses amis de la rébellion.

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