Melvin van Peebles, éternel va-t-en-guerre

Il s’est fait connaître avec « Sweet Sweetback’s Baadasssss Song », acte fondateur du cinéma africain-américain. Rencontre avec un artiste polymorphe.

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Homme-orchestre aux mille facettes (cinéaste, acteur, musicien, producteur, romancier, journaliste, trader à Wall Street ou encore pilote de bombardier à ses heures), Melvin van Peebles a forgé sa légende à la force du poignet. C’est pourtant en un clin d’oeil qu’est venue la consécration lors de la diffusion de son troisième film, le désormais fameux Sweet Sweetback’s Baadasssss Song réalisé en 1971 et produit en dehors du système hollywoodien. Hymne militant et révolutionnaire des ghettos oubliés, rapidement récupéré par les Black Panthers, le film, classé X, ne sera jamais distribué à l’étranger.
Savant mélange d’esthétique psychédélique, de funk attitude, de sexualité débridée et de violence payante, ce long-métrage met en scène la fuite effrénée d’un jeune des bas-fonds traqué après avoir tabassé des policiers qui mettaient à mal l’un de ses « frères ». Entreprise politique et artistique au message sans concession, Sweet Sweetback’s Baadasssss Song fit exploser le box-office des années 1970. Acte fondateur du cinéma noir indépendant, le film a ouvert la brèche dans laquelle s’engouffreront ensuite Spike Lee ou John Singleton pour ne citer qu’eux. À (re)voir son oeuvre aujourd’hui, force est d’accorder à son metteur en scène que « rien n’a changé ». Les inégalités des Seventies demeurent les petites soeurs des disparités actuelles.
Le fils de Melvin, Mario van Peebles, réalisateur du remarqué New Jack City (1995), a le talent pour reprendre le flambeau familial et communautaire. Il vient d’ailleurs d’être primé au Festival de Toronto pour un documentaire retraçant les difficultés rencontrées à l’époque par son père pour monter la complainte de Sweetback et qui donna paradoxalement naissance à la « black exploitation » (films interprétés par des Africains-Américains, mais totalement dénués de contenu socio-politique).
Melvin van Peebles, la dégaine tranquille et l’oeil toujours vif, n’a pas changé non plus. Les mains sont belles, les doigts interminables ; il sirote son café matinal dans un petit bar parisien. En français, il confie envisager de réaliser un jour les deux films qui formeraient la trilogie dont Sweet Sweetback’s Baadasssss song aurait constitué le premier volet (et dont la partie finale se déroulerait en Afrique). Il continue de déplorer que les structures de diffusion cinématographique « demeurent aux mains des Blancs ». Tout comme il a refusé en son temps de servir de caution aux grands studios américains, l’homme est éternellement méfiant : il n’aime pas se dévoiler trop facilement. « Je n’ai rien à dire sur les faits d’actualité ou les problèmes de politique… Je ne suis ni sociologue ni anthropologue. Tout ce que j’ai à dire est dans mon boulot. Je ne dis rien, je fais : j’ai mes idées, je les exprime dans le cinéma, la musique et les livres. Regardez mes oeuvres. »
Fils d’un teinturier, né à Chicago au début des années 1930, Melvin vit entre Paris, New York et Los Angeles depuis près de quarante ans. Décoré de la Légion d’honneur, il a gagné ses lettres de noblesse dans son pays d’adoption où il a écrit plusieurs romans et réalisé des films qui pourfendent le racisme ambiant et les préjugés faciles (Le Conte du ventre plein, pour citer le plus récent de ses films français, sorti en 2000). Ce griot très contemporain s’est promené en Afrique où il aurait atterri par hasard alphabétique. « Je devais aller à Bangkok, mais le vol était plein et je n’ai pas eu envie de rentrer à Paris. La destination voisine sur la liste, c’était Bamako. Alors, voilà, j’ai dit : « Donnez-moi un billet pour Bamako. » »
Nulle quête de racines ne l’aurait donc mené vers la terre ancestrale. Il a laissé à d’autres membres de sa famille leur « intérêt pour les enquêtes généalogiques ». Lui s’est toujours plus préoccupé du présent que du passé. Bien planté dans son siècle, il est l’auteur de disques qui préfigurent le rap dans les années 1960 : il dit avoir inventé alors une forme de « musique faite pour gueuler » dans le silence ambiant, une « méthode » utilisée depuis par ses descendants spirituels (dont il cite The Last Poets et LL Cool J).
Après avoir également signé des comédies musicales primées à Broadway, il a adapté les chants communards d’Aristide Bruant à son rythme jazzy, mêlant blues et gospel personnels. C’est à partir de ses plus grands succès musicaux qu’est né le Sweet Sweet Soul Cabaret, une revue composée de six chanteurs et de douze musiciens, en représentation à Paris pour le nouvel an. « Il n’y a pas assez de rôles pour les représentants des minorités, ici comme en Amérique. Il y a plein d’acteurs de couleur très calés, mais ils n’ont jamais leur chance. C’est pourquoi j’ai monté ce projet. C’est ma façon de tenter de leur donner une chance et de montrer qu’ils existent. »
Bref, Melvin van Peebles n’a pas déposé les armes et continue de lutter pour ses semblables. N’étant pas supposé mourir de mort naturelle (Ain’t supposed to die a natural death, titre de l’un de ses albums), l’éternel va-t-en-guerre estime qu’il faut tomber au combat. Inspiré par les mots du célèbre esclave fugitif Frederic Douglas, il rappelle ainsi doctement : « Si vous êtes un esclave, il faut mourir sur le champ de bataille. »

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