Jihadistes tunisiens en Syrie et en Irak : la commission parlementaire au point mort
Il y a un an jour pour jour, le 27 mars 2017, la commission d’investigation sur le départ des jeunes Tunisiens vers l’Irak et la Syrie commençait son travail. Depuis, peu de choses. Des résultats auraient cependant pu éviter à la Tunisie de se retrouver sur la liste noire européenne des pays exposés au financement du terrorisme.
Elle avait été annoncée en grandes pompes : la commission d’investigation concernant les réseaux impliqués dans l’envoi des jeunes tunisiens vers les zones de combat devait être un outil de plus pour combattre ce phénomène. Depuis 2012, plus de 5 000 ressortissants tunisiens auraient rejoint des groupes jihadistes en Syrie, en Irak ou en Libye selon un groupe de travail de l’organisation des Nations unies.
Des règlements de compte entre partis
Crée en janvier 2017, la commission, notamment chargée d’enquêter sur le degré de responsabilité des institutions tunisiennes, a commencé son travail le 27 mars de la même année avec une feuille de route claire : « Planification du travail de la commission ». Depuis, la commission de 22 députés semble avoir bien peu avancé. Aucune date butoir de rendu des travaux n’a été donnée.
Dès la naissance de cet outil, les islamistes et leurs traditionnels adversaires politiques se sont opposés à ce sujet. « Ennahda voulait une date de rendu des travaux, nous avions peur que ce soit un moyen de limiter l’étendue des enquêtes, nous avons milité pour une date ouverte », assure Mongi Rahoui, élu du Front populaire et membre de la commission. En clair, dès le départ, la défiance entre les partis et les soutiens aux différentes forces en présence en Syrie a primé sur l’efficacité.
L’activité de la commission, c’est surtout des règlements de compte entre partis par auditions interposées
En février 2017, entre la création et la première réunion de la commission, des députés d’Ennahda demandaient déjà des enquêtes concernant les – rares – Tunisiens partis rejoindre des organisation pro-régime syrien.
Un an plus tard, Mongi Rahoui explique à Jeune Afrique que pour revivifier la commission, il entend toujours proposer « une collaboration avec une commission parlementaire syrienne. »
Difficile d’imaginer que les élus les plus assidus aux travaux de la commission, deux nahdaouis, dont le parti reste clairement un soutien de la rébellion syrienne, acceptent une telle idée. Les islamistes s’y étaient déjà opposés, il y a bientôt un an. « L’activité de la commission, c’est surtout des règlements de compte entre partis par auditions interposées », souligne – en off – un observateur indépendant de la vie parlementaire.
Manque de budget
Des auditions ont bien eu lieu. Mais on est loin de ce qui avait été prévu. Les actuels ministres de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires religieuses ont été entendus. Pas leurs prédécesseurs, ni les directeurs généraux des renseignements ou encore les secrétaires d’État à la sécurité intérieure, ce qui était pourtant prévu.
Les rencontres avec Abdekarim Labbidi, ex-chef de sécurité de l’aéroport de Carthage et Issam Dardouri, président d’une association spécialisée sur les questions sécuritaires, ont tourné court.
>>> A LIRE – Tunisie : Ennahdha et les repentis du jihad
La commission avait convenu de rendre un rapport avant la fin juillet 2018, mais elle risque bien de rendre un document centré sur le seul rôle des associations. Elle a en effet découvert que de nombreuses structures créées après la révolution ont échappé à tout contrôle et ont servi à financer des voyages de Tunisiens vers le Moyen-Orient.
Selon Chettaoui, il n’est pas question que de batailles politiques, mais aussi de l’armature des commissions d’investigation parlementaire : « La commission ne dispose d’aucun budget », explique la députée. « Durant les auditions, je ne disposais que d’un seul conseiller pour prendre des notes et préparer les PV. Et il lui arrivait de disparaître en pleine auditionn car il était demandé par le bureau du Parlement. »
Obstructions d’Ennahda
Rahoui, assure que certains parlementaires ont aussi des craintes : « Ennahda obstrue l’accès aux informations pour la simple raison que le parti était au gouvernement en 2012, quand les départs de Tunisiens vers les zones de guerre ont commencé. »
Leïla Chettaoui, issue du parti présidentiel Nidaa Tounes, présidente de la commission dès sa création, a été remerciée en mai 2017, le jour même où elle auditionnait la Commission tunisienne d’analyse financière (CTAF), liée à la Banque centrale.
Le gouvernement venait de lancer une opération nationale anti-corruption forcément sensible et Chettaoui avait quitté le parti. À en croire cette dernière, « les enregistrements à l’ARP peuvent témoigner de l’importance des révélations de la CTAF sur le danger du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. »
Un an plus tard environ, en février 2017, la Tunisie était classée par le Parlement européen dans la liste des États les plus exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme. Les Européens avaient plus ou moins ignoré les documents présentés par la CTAF. Mais, relevait alors Jeune Afrique, « [Tunis] n’a pas su évaluer les risques encourus et mener le lobbying à temps auprès des députés européens. »
Chettaoui s’interroge aujourd’hui : un travail des élus tunisiens bien informés via la commission n’aurait-il pas permis un lobbying auprès de leurs confrères européens, et ainsi éviter le classement de la Tunisie sur la liste en question ?
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