Malaise dans l’éducation

Les enseignants sont les premiers touchés par la maladie. Pourtant, la prévention en milieu scolaire est une des meilleures armes pour lutter contre ce fléau.

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Cela ressemble un peu à l’histoire du serpent qui se mord la queue. Mais, ici, la morsure est mortelle. Pour réduire la propagation du VIH, l’éducation des plus jeunes, n’ayant pas encore de vie sexuelle, et l’acquisition de pratiques sans risque pour plus tard sont des conditions indéniables. Seulement voilà, le secteur éducatif africain est parmi les plus touchés par l’épidémie. Très mobile, jeune, mal payé et jouissant d’un statut social lui permettant d’avoir facilement des rapports sexuels, notamment avec les élèves, le corps professoral présente toutes les caractéristiques des populations victimes du virus. Résultat, le déficit humain en nombre d’enseignants crée une baisse de l’offre éducative, soit une situation inverse à l’objectif recherché.
Pourtant, le cadre scolaire est idéal pour diffuser des messages de prévention. Primo, parce qu’ils sont transmis par un professeur, bien souvent référent pour les élèves, qui le voient comme un « instructeur », mais, bien plus, comme un modèle auquel on fait confiance. Secundo, parce que les élèves du primaire ne sont pas encore sexuellement actifs ; en conséquence, ils n’ont pas encore adopté de comportements à risque. Moment idéal pour intervenir, car, à l’adolescence, le virus est déjà à l’oeuvre : la moitié des 15 000 nouvelles infections quotidiennes frappent les 15-24 ans.
Le corps enseignant est frappé de plein fouet par la maladie. Pour Fred Van Leeuwen, secrétaire général de l’Internationale de l’éducation, une des plus importantes fédérations d’éducateurs, « le pourcentage d’enseignants du continent qui sont morts ou porteurs du VIH est plus élevé que pour la plupart des autres catégories professionnelles ». En 1999, 860 000 écoliers subsahariens ont perdu leur instituteur. En Côte d’Ivoire, huit professeurs (cinq du primaire, trois du secondaire) meurent chaque semaine du sida. En Zambie, deux décèdent pour un nouvellement formé. L’absentéisme des professeurs, malades ou ayant des parents infectés, a un impact tant sur la quantité des cours que sur leur qualité : il devient difficile pour un professeur devant s’absenter pour se soigner d’assurer l’intégralité du programme scolaire. Selon une analyse de la Banque mondiale, un enseignant s’absente l’équivalent de six mois lorsqu’il est séropositif, puis douze mois une fois sidéen. Pour éviter de perdre une partie de ses revenus, il ne demande pas de congé « longue maladie ». Ce qui ne permet pas à l’administration locale de se mettre en quête d’un remplaçant. Et pour les écoles qui sont tout de même tentées de le faire, cela implique un doublement des dépenses. Quant aux instituteurs séronégatifs, ils sont eux aussi beaucoup plus absents qu’il y a une décennie, du fait de l’enterrement de leurs proches, qui représentent 12 % des périodes d’absentéisme.
Face à ces décès et ces absences, la demande en personnel devrait donc exploser. D’autant plus que le nombre d’élèves ne devrait pas non plus diminuer. En effet, jusqu’à 15 ans, les enfants sont en moyenne peu touchés par la maladie (quatre fois moins que les adultes), hormis ceux qui l’ont contractée à la naissance. Mais ce mode de transmission, materno-foetale, est peut être désormais celui contre lequel on lutte le mieux. Selon le U.S. Census Bureau, seuls six des vingt-six pays les plus touchés par l’épidémie connaîtront une diminution de la population scolaire d’ici à 2015. Ainsi, en Zambie ou au Zimbabwe, les projections pour 2010 font état d’une baisse de 20 % du nombre d’enfants fréquentant l’école primaire. Pour les autres, compte tenu de la fertilité toujours forte des femmes, la demande devrait rester identique. Et les coûts de formation vont s’envoler. Au Burkina, un expert du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) estime que, si l’on considère un taux de prévalence national de 10 % en 2010, alors 2 700 enseignants seront séropositifs et 110 décèderont dans l’année. Or la formation d’un enseignant, du primaire jusqu’à l’obtention de son diplôme, coûte 675 000 F CFA (1 000 euros). Remplacer les professeurs malades ou décédés coûterait à l’État 1,44 milliard de F CFA. Au Swaziland, la facture est encore plus sévère : en 2016, le renouvellement du corps professoral victime du sida coûtera 233 millions de dollars, soit plus que le budget gouvernemental de 1999 pour les biens et services. Au Mozambique, le coût atteindra 50 millions de dollars d’ici à 2010. Dans cette somme, le coût de l’absentéisme est trois fois plus important que celui de la formation. Parallèlement, un nouveau poste de dépense devrait prendre de l’ampleur dans les années à venir : celui du soutien apporté aux orphelins et aux enfants vulnérables afin qu’ils restent dans le système scolaire. Pour y parvenir, des bourses et différentes aides publiques devront être instaurées. Ce coût, dans de nombreux pays en développement, devrait être dix fois plus important que le budget per capita dédié à l’éducation. Sans de très importants financements supplémentaires, les systèmes éducatifs ne pourront faire face à cette situation. Les Nations unies, qui ont déterminé, en 2000, des objectifs à atteindre pour 2015 afin d’offrir « l’éducation pour tous », doivent revoir leurs projections budgétaires. Lesquelles, dans l’état actuel de l’épidémie, ont déjà augmenté de 33 %.
Pourtant, cela en vaudrait la peine. Car plus les enfants sont éduqués, plus leur connaissance du virus est bonne, et plus ils se protègent. Une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) prouve que l’utilisation des préservatifs augmente avec le niveau d’études : ainsi, au Mozambique, 15 % environ des adolescents ayant eu une scolarité de six ans utilisent des préservatifs lors de rapports sexuels occasionnels. Avec dix ans et plus passés sur les bancs de l’école, ils sont plus de 50 %. Le lieu d’apprentissage, l’école, est primordial. Ainsi, en Ouganda, un programme de deux ans d’éducation sanitaire a permis faire baisser de 42,9 % à 11,1 % la proportion d’enfants ayant déjà eu des rapports sexuels en dernière année d’école primaire. Pour un groupe test, soumis uniquement aux campagnes de prévention nationales hors système scolaire, aucun changement comportemental significatif n’a été relevé.
Mais il semblerait que les meilleurs résultats soient obtenus par l’utilisation de peer-educators. Avec ces pairs, des étudiants pour la plupart, le dialogue est beaucoup plus aisé qu’avec les professeurs, dont l’autorité crée une certaine distance. Interrogés sur le sujet, les adolescents sont tous d’accord pour dire que « leurs points de vue sont à peu près les mêmes, et qu’il est beaucoup plus facile de parler de sexe avec des personnes qui pourraient être des copains ». Ces pairs, formés à l’éducation contre le sida, peuvent visiter de nombreuses écoles et ainsi toucher beaucoup d’élèves à moindres frais. Mais s’ils éduquent les élèves sur l’épidémie, ils ne combleront toutefois pas le manque de professeurs. D’ici à 2010, la demande en enseignants va croître d’environ 30 % au Burkina, 40 % au Togo et 20 % au Nigeria. Pour l’heure, certains États bricolent dans l’urgence afin de ne pas avoir à fermer d’écoles. Recrutement d’enseignants retraités, embauche de jeunes étudiants non formés sont des pratiques courantes. Ainsi, au Botswana, 12 % des enseignants ne sont pas diplômés, et 6 % sont étrangers. À l’avenir, il faudra certainement recruter un plus grand nombre d’instituteurs, plus généralistes, afin qu’ils puissent enseigner aussi bien en primaire qu’en secondaire. Et, surtout, ces professeurs devront doublement « donner l’exemple » : suivre eux-mêmes des formations leur expliquant les moyens élémentaires de prévention, suivre une ligne de vie et une sexualité plus rigoureuses.

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