L’esprit de Genève

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 5 minutes.

C’est peut-être un tournant, le passage, entre Palestiniens et Israéliens, d’une logique de guerre à une logique de paix. En tout cas, je l’espère, et, à Jeune Afrique/ l’intelligent, nous y oeuvrons.
Blottie au bord du lac Léman, Genève, capitale internationale de la Confédération helvétique, a été, tout au long du XXe siècle, la ville des conférences et des accords de paix : ne dit-on pas « l’esprit de Genève » pour caractériser une atmosphère de réconciliation ?
C’est précisément à Genève que sera signé, après-demain lundi 1er décembre, ce qu’on appellera, je pense, l’Accord de Genève. En pages 62-79, nous publions le texte intégral de cet Accord, traduit par nos soins de l’anglais, langue dans laquelle il a été négocié et rédigé.
Fruit d’une longue négociation entre des Palestiniens et des Israéliens de bonne volonté las de l’affrontement armé et désireux de dessiner entre leurs deux peuples une paix de compromis, le texte en question est la matrice de tout accord de paix entre deux nationalismes qui revendiquent la même terre depuis plus d’un demi-siècle.

Il y a dix ans, les mêmes hommes, alors au pouvoir, signaient, à Oslo, capitale de la Norvège, des accords qui ont suscité beaucoup d’espoirs et dont, hélas ! les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs. Pourquoi l’Accord de Genève, dont les signataires n’ont d’autre autorité que morale, connaîtrait-il un meilleur sort ?
Parce qu’il va beaucoup plus loin, qu’il dit aux Israéliens et aux Palestiniens les concessions qu’ils devront faire et ce qu’ils recevront en retour.
Parce que, n’étant pas parvenus à s’entendre, Israéliens et Palestiniens ont essayé de prévaloir les uns contre les autres, sans autre résultat que quelques milliers de morts de plus, la violence et les destructions.
Le général Ami Ayalon, chef du Shin Beth(*) de 1996 à 2000, le dit sans ambages :
« Regardons les trois dernières années : nous avons perdu neuf cents compatriotes. Nous avons tué des milliers de Palestiniens, semé l’humiliation et préparé de futures vagues de terrorisme. Nous avons tout essayé et nous avons échoué.
Dans les neuf mois qui ont précédé l’Intifada, un seul Israélien a été tué par un acte de terrorisme.
Pourquoi en a-t-il été ainsi ? La raison principale est que la rue palestinienne avait alors de l’espoir.
Nous, au Shin Beth, qui sommes au contact des Palestiniens, nous voyons le lien entre la pauvreté, le désespoir, l’humiliation et le terrorisme. Et nous ne combattons pas seulement le terrorisme d’aujourd’hui, nous identifions les racines du terrorisme de demain. »
Ce constat a conduit ce général israélien à signer avec le dirigeant palestinien Sari Nusseibeh un protocole d’accord qui appelle, comme l’Accord de Genève, à une paix de compromis.

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Le futur Accord de Genève a une bonne chance de se révéler fécond pour plusieurs autres raisons, que je passe en revue ci-dessous :
Dans leur grande majorité, Israéliens et Palestiniens sont fatigués d’une guerre interminable, sans issue prévisible, qui les appauvrit et accentue leur dépendance. Si on ne leur offre aucune perspective de paix, ils continueront de se battre parce que, d’un côté comme de l’autre, ils sont valeureux et s’estiment agressés. Mais leurs amis savent qu’au plus profond d’eux-mêmes sommeille un immense désir de paix. Qui ne demande qu’à se réveiller et à s’épanouir dès qu’apparaît une lueur d’espoir.
Un signe qui ne trompe pas : la dynamique créée par l’initiative de Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo a déjà obligé les forces politiques israéliennes de gauche, le Parti travailliste en particulier, à sortir de leur léthargie pour se prononcer publiquement en faveur d’une solution très proche de celle consignée dans l’Accord de Genève.
Je note enfin qu’au sein des diasporas juive et palestinienne perce, pour la première fois, la volonté de prendre ses distances avec ceux des leurs qui veulent poursuivre l’affrontement. D’un côté comme de l’autre, des personnalités de renom ont fait savoir à leurs pouvoirs respectifs qu’il convient de donner ses chances à la paix.

Je vois une autre raison d’espérer que cette fois-ci sera la bonne, que l’Accord de Genève déclenchera un nouveau processus de paix et conduira à un traité en bonne et due forme :
– avant même sa signature, l’Accord suscite dans le monde entier un immense espoir. Dans la presse, à l’exception d’un éditorialiste américain qui s’est voué à la défense de Sharon et du sharonisme, tous ceux qui suivent le conflit israélo-arabe et en rendent compte approuvent et croisent les doigts ;
– en dehors d’Ariel Sharon et de quelques-uns de ses acolytes, personne, en Israël, n’ose se déclarer contre ;
– chez les Palestiniens, seuls les extrémistes du Hamas et du Djihad ont rejeté l’Accord de Genève et qualifié ses auteurs palestiniens de traîtres.
D’un côté, Sharon et l’extrême droite, de l’autre, le Hamas et les jusqu’au-boutistes : une fois de plus, le même tandem maléfique marche du même pas, sur la même musique militaire.

Mais que pense-t-on à la Maison Blanche de cette situation nouvelle, me direz-vous ? George W. Bush ne continuera-t-il pas à soutenir, contre vents et marées, son ami Sharon, qu’il a consacré « homme de paix » ? Eh bien, aux États-Unis, le président et sa garde rapprochée de néoconservateurs se tiennent pour le moment à distance : ni approbation ni critique. Mais, indication très intéressante et inattendue : Colin Powell a été autorisé, par le président lui-même, à encourager les protagonistes de l’Accord, et même à les recevoir à Washington après qu’ils l’auront signé.

Quoi qu’il en soit, je vous recommande de lire le dossier de 28 pages que nous consacrons, au centre de ce numéro de Jeune Afrique/l’intelligent, à cet Accord de Genève. Je pense que vous serez convaincus qu’il faut le prendre, ainsi que ses auteurs, au sérieux, car l’initiative est à la fois originale et méritoire.
Les personnalités qui la soutiennent, dont deux anciens présidents américains, Jimmy Carter et Bill Clinton, sont connues pour avoir beaucoup oeuvré en faveur d’une paix de compromis au Moyen-Orient, et ailleurs, et pour faire partie du camp du Bien.
Ceux qui la rejettent mènent un coûteux combat d’arrière-garde. Et rappellent à ceux qui ont de la mémoire les derniers partisans de l’Algérie française ou les ultimes défenseurs de l’apartheid…

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* Les Services de sécurité intérieure israéliens, en charge de la répression de la résistance palestinienne.

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