Justice, pétrole et droits de l’homme

Le garde des Sceaux souhaite protéger son pays de la corruption pétrolière. Ce ne sera pas une sinécure !

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Si la Guinée équatoriale est sous les feux de l’actualité, c’est évidemment en raison du boom pétrolier dont elle est le théâtre depuis une dizaine d’années et, accessoirement, de ses taux de croissance supérieurs à 30 %. Mais pas seulement, hélas ! Elle est aussi dans le collimateur des organisations de défense des droits de l’homme. Et la récente arrestation du journaliste Rodrigo Angue Nguema, correspondant de l’Agence France Presse à Malabo, n’est pas pour arranger les choses. Notre confrère a été maintenu en détention du 3 au 11 novembre pour avoir évoqué dans une dépêche du 29 octobre un projet de coup d’État déjoué…
Le 4 avril, à Genève, devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU, le vice-Premier ministre Jeremias Ondo Ngomo s’était pourtant solennellement engagé, au nom de son gouvernement, à « améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays ». En gage de leur bonne foi, les autorités équatoguinéennes avaient d’ailleurs, le 8 août, libéré l’opposant Placido Miko, incarcéré en juin 2002 pour « complicité d’attentat contre le chef de l’État ». Du 20 au 27 août, à Mbini (dans la partie continentale du pays), la concertation engagée à leur initiative avec les treize partis de l’opposition dite « démocratique » avait débouché sur un accord : au terme d’une réforme constitutionnelle, le nombre des députés sera porté de quatre-vingts à cent.
Ruben Maye Nsue Mangue, le ministre de la Justice, n’est pas un adepte de la langue de bois. Ce docteur en droit, qui fut procureur auprès de la Cour constitutionnelle de 1996 jusqu’à son entrée au gouvernement, en janvier 1998, souhaite « enraciner l’État de droit » et préserver son pays de la corruption pétrolière. Vaste programme !
En revanche, il se montre peu conciliant, c’est le moins que l’on puisse dire, à l’égard des adversaires du régime réfugiés à l’étranger. Entretien.

Jeune Afrique/L’intelligent : Quel est le sens de la réforme de la justice que vous avez engagée ?
Ruben Maye Nsue Mangue : En 2004 ouvrira à Malabo un Institut national de pratique judiciaire [INPJ], une école qui sera chargée de la formation des magistrats, mais aussi de l’amélioration des textes qu’ils seront appelés à appliquer. Notre pays s’est déjà doté
d’un code des investissements attractif qui a contribué à attirer les grandes compagnies pétrolières, américaines notamment. En outre, depuis la conférence économique nationale qui s’est tenue en novembre 1997, une partie des ressources pétrolières est affectée à la
bonne gouvernance, aux droits de l’homme et au développement des institutions démocratiques, c’est-à-dire, pour une part, au perfectionnement de la justice. Nous allons
donner à celle-ci des armes pour lui permettre de faire face à la corruption et aux trafics en tout genre occasionnés par le pétrole.
J.A.I. : Justement, comment comptez-vous enrayer la « corruption importée par les nouveaux venus en Guinée équatoriale », comme le disait récemment le président Obiang Nguema ?
R.M.N.M. : Le gouvernement a institué un nouveau système de contrôle des impôts : chaque ministre est chargé du recouvrement d’un montant préalablement défini et de son versement
effectif au Trésor public. Par ailleurs, la Commission nationale de codification des lois prépare actuellement un nouveau texte concernant les tribunaux financiers. En 1999, j’ai été nommé à la présidence de la Commission nationale de lutte contre la corruption. J’ai commencé le nettoyage par le département de la Justice et me suis séparé d’un certain
nombre de magistrats. Aucun secteur de notre vie publique ne sera épargné. Je suis d’ailleurs en contact avec Transparency International, à à laquelle je compte demander une
assistance technique en matière de lutte contre la corruption.
J.A.I. : Avez-vous les moyens de votre politique ?
R.M.N.M. : Les moyens s’améliorent. Lors de l’indépendance [en 1968], nous n’avions que deux ou trois licenciés en droit, contre une centaine aujourd’hui. À l’université de Malabo, un programme d’étude du droit équato-guinéen se met progressivement en place. Il est en prise sur nos réalités et débarrassé de l’héritage juridique espagnol. L’INPJ va nous aider à « tropicaliser » notre arsenal juridique. Conformément aux recommandations
de la récente Conférence nationale sur la justice (9-11 janvier), l’État a consacré cette année 5 milliards de F CFA [7,6 millions d’euros] à la formation, à la documentation et à la construction d’infrastructures (centres pénitentiaires, palais de justice, etc.).
J.A.I. : Comment expliquez-vous la récente arrestation d’un correspondant de l’AFP ?
R.M.N.M. : Après enquête, Rodrigo Angue Nguema a été libéré. Dans un État de droit, il est normal que des personnes soupçonnées d’infractions soient interrogées. Mais ce n’était
là qu’un incident qui ne saurait occulter nos efforts en faveur du respect des droits de l’homme, dans un cadre démocratique apaisé.
J.A.I. : Qu’en est-il des opposants en exil ?
R.M.N.M. : Le président de la République a consenti à l’adoption de plusieurs lois d’amnistie. De nombreux réfugiés politiques sont rentrés au pays et certains sont aujourd’hui très actifs au sein de divers partis politiques. Quelqu’un comme Weja Chicampo, par exemple, n’a jamais été inquiété. Mais il subsiste un petit groupe de personnes que je me refuse à appeler des réfugiés
J.A.I. : Ils sont quand même à l’étranger et encourent des sanctions judiciaires dans leur pays !
R.M.N.M. : Il faut se demander pourquoi ils sont toujours à l’étranger. Certains sont des corrompus qui ont commis des délits économiques : ils ont tout simplement honte de revenir au pays. C’est notamment le cas d’un ancien ambassadeur au Cameroun, qui est parti avec la caisse de son ambassade et se présente aujourd’hui comme un opposant politique. D’autres, et non des moins virulents, comme Severo Moto, ont gagné l’Espagne après avoir été condamnés pour trafic d’armes, recrutement de mercenaires et menées subversives. D’autres encore sont des vestiges de la dictature de Macias Nguema. Ils sont dépassés par l’évolution démocratique du pays et se perdraient s’ils revenaient.

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