Gbagbo : un casse-tête français

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Vu de Paris, le personnage est décidément aussi insaisissable qu’imprévisible. On attendait beaucoup, trop, évidemment, du discours que Laurent Gbagbo a prononcé le 27 novembre et dont les grandes lignes, assurait-on, avaient été définies quelques jours auparavant à Libreville en présence du président Bongo et du ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin. Et voici que l’on se retrouve avec une allocution « à demi-pleine, à demi-vide », commente un proche du dossier, mi-figue mi-raisin, qu’il va encore falloir lire en creux pour y déceler des raisons (subjectives, bien sûr) d’espérer. Même si le Premier ministre Seydou Diarra a, assure-t-on à Paris, « très bien réagi » à cette intervention, ajoutant qu’« on ne pouvait pas demander plus » au chef de l’État, il est clair que les Français s’attendaient à mieux : plus d’engagement en faveur des dispositions de Marcoussis, plus de délégation de pouvoir en faveur de Diarra, plus de mots rassembleurs… C’était sans doute faire bon marché d’éléments essentiels : Gbagbo, qui tient le plus grand compte d’une opinion locale toujours chauffée à blanc, ne pouvait donner l’impression qu’il était allé à Libreville comme d’autres à Canossa. Et puis, Gbagbo, c’est un peu Janus.

De janvier 2003 (accords de Marcoussis et sommet de Kléber) à août, la relation entre le président ivoirien et Dominique de Villepin est ainsi polaire. Pendant plus de six mois, les deux hommes ne se voient pas et ne se parlent même pas au téléphone. Le contact entre Abidjan et Paris passe alors par le « monsieur Afrique » de Jacques Chirac, Michel de Bonnecorse, et surtout par l’ambassadeur de France, Gildas Le Lidec, qui se dépense sans compter. Fin août, la visite de la « madame Afrique » de Villepin, Nathalie Delapalme, qui est reçue à trois reprises par Laurent Gbagbo, détend quelque peu le climat. Le téléphone fonctionne à nouveau entre le Quai d’Orsay et le palais de Cocody. Le 21 novembre, enfin, ce sont les retrouvailles de Libreville entre Gbagbo et celui qu’il se remet à appeler « Dominique ».

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Deux entretiens, plus de trois heures en tout, en présence de Bongo. Puis un dîner restreint à six auquel participent le président gabonais et sa fille Pascaline, Gbagbo et son directeur du protocole (en fait, de plus que cela) Eugène Allou, Villepin et Delapalme. L’atmosphère est bonne, et c’est à Libreville que se décident les grandes lignes du discours que Laurent Gbagbo doit adresser à son peuple, ainsi que ses déplacements au Burkina et au Mali. Les Français sont d’autant plus satisfaits que les excellentes dispositions dans lesquelles semble être le chef de l’État ivoirien isolent une rébellion du Nord – et son chef, Guillaume Soro – qui les inquiète et les agace de plus en plus. Pourtant, six jours plus tard, c’est un peu la douche froide. De retour chez lui, Gbagbo a dû composer – à moins qu’il n’ait jamais eu réellement l’intention de céder…
Un oeil sur la sécurité de la communauté française en Côte d’Ivoire (4 000 ressortissants de l’Hexagone ont quitté le pays depuis un an, mais il en reste tout de même près de vingt mille), un autre sur les rodomontades militaires des deux camps, le corps expéditionnaire Licorne demeurera donc sur place « au moins jusqu’à l’élection présidentielle », affirme-t-on à Paris. C’est-à-dire, au minimum, pour une année encore. Soucieux d’alléger le coût de l’opération – d’autant que quatre-vingt-dix gendarmes supplémentaires sont en voie d’acheminement vers Abidjan afin d’y assurer la sécurité des ministres issus de l’ex-rébellion, dont Guillaume Soro -, Paris a négocié et obtenu, tant à Bruxelles qu’à New York, le passage sous Casques bleus onusiens et financement européen partiel des 1 300 hommes du contingent de la CEDEAO, dont elle assurait jusqu’ici la logistique. Très désireuse de son côté de déclencher une opération de maintien de la paix sous parapluie de l’ONU au Sud-Soudan – et ce avant la présidentielle américaine -, l’administration Bush a en effet fini par donner son appui à ce projet. Tout se passe donc comme si chacun s’installait dans la durée. Coupée en deux, la Côte d’Ivoire survit et les menaces de déstabilisation régionale, à force d’avoir été agitées, effraient de moins en moins.

Une situation que Laurent Gbagbo semble percevoir comme un moindre mal. Au fait, en a-t-il assez dit dans son discours du 27 novembre pour « mériter » une visite officielle à Paris ? C’est probable. Sur les agendas respectifs des deux présidents, une date a en tout cas été retenue : celle du jeudi 18 décembre (et non du 19 comme on l’a dit à Abidjan). Reste que Jacques Chirac n’avait pas encore, fin novembre, formalisé officiellement son invitation…

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