Feuille de route, Voix du peuple et… « non-plan »

Un projet international mort-né, un texte soumis à pétition, de vraies-fausses propositions sharoniennes, les concurrents de l’Accord de Genève ne font pas le poids.

Publié le 2 décembre 2003 Lecture : 7 minutes.

Depuis les accords d’Oslo, signés le 13 septembre 1993 par Itzhak Rabin et Yasser Arafat, mais dont l’application tourna court après le meurtre du Premier ministre d’Israël par un fanatique juif (le 4 novembre 1995), ce qu’on a baptisé la « feuille de route » (road map), élaborée en décembre 2002 par un « Quartet » de médiateurs internationaux (Nations unies, États-Unis, Union européenne et Russie), reste, à ce jour, le seul plan de paix israélo-palestinien officiellement accepté par les deux parties.
Encore faut-il préciser. Si l’Autorité palestinienne a donné, sans détours, son accord, Israël n’a, de mauvaise grâce, accepté le texte qu’en l’assortissant de quatorze « réserves » qui en altèrent gravement la signification.
Telles qu’elles avaient été conçues, les dispositions du plan présentaient pourtant de nombreux avantages pour l’État juif, à commencer par l’ajournement de toute décision
concrète sur les points les plus litigieux. Se référant à la « vision » exprimée par le président George W. Bush dans son discours du 24 juin 2002, elles prévoyaient, pour
l’essentiel, la création par étapes, d’ici à 2005, d’un État palestinien souverain coexistant pacifiquement avec Israël.
Dans une première phase, les Palestiniens devraient faire cesser le terrorisme, réformer la structure de leur Autorité et reconnaître le droit à l’existence de l’État d’Israël ; les Israéliens, de leur côté, devraient geler toute colonisation, se retirer des territoires occupés depuis le début de la seconde Intifada, en septembre 2000, et renoncer
aux mesures dites « punitives », telles que les assassinats ciblés, les destructions de maisons, les expulsions, les confiscations, etc.
Dans une deuxième phase seulement serait préparée la création, d’ici à décembre 2003, d’un État palestinien indépendant, mais aux frontières provisoires, sur 40 % de la Cisjordanie et les deux tiers de la bande de Gaza. Tandis que des élections palestiniennes seraient organisées, une conférence internationale tenterait de relancer
les efforts pour une paix globale au Moyen-Orient.
Dans une troisième phase enfin, d’ici à la fin de 2005, une seconde conférence internationale fixerait les frontières définitives de l’État palestinien. Resteraient en suspens le statut de Jérusalem et le sort du « droit au retour » des réfugiés palestiniens, objet de négociations ultérieures.
Quoique fort conciliantes, ces dispositions n’en ont pas moins suscité les critiques de l’État hébreu, dont les quatorze amendements visent, en fait, à lui laisser une pleine liberté de mouvement : le passage d’une phase à l’autre ne pourrait intervenir que sur le fond d’une « sécurité » absolue, sans aucun parallélisme quant aux obligations à remplir pour chaque partie ; le Hamas, le Djihad et les autres organisations de résistance palestiniennes devraient être démantelées ; le sort des colonies ne serait étudié que dans le cadre de l’accord final ; aucune conférence internationale ne pourrait interférer dans le processus de paix. Enfin, le mécanisme de contrôle reviendrait à une seule direction américaine, ce qui exclut aussi les membres du Quartet eux-mêmes. Cette exigence d’un parrainage exclusivement américain vient d’ailleurs d’être réaffirmée par Ariel Sharon après l’adoption à l’unanimité, le 20 novembre, par le Conseil de sécurité, d’une résolution d’initiative russe réitérant la volonté des Nations unies de mettre réellement en uvre la feuille de route.
Comme on le sait, le Premier ministre palestinien nommé pour appliquer la feuille de route, Mahmoud Abbas, réussit à obtenir du Hamas et du Djihad islamique une trêve des attentats. Mais Israël, loin de procéder à un gel de la colonisation et au démantèlement
des implantations « illégales », comme l’y obligeait le document, a continué de créer de nouvelles colonies et de développer celles qui existent, au nom de leur « croissance naturelle ». « Voulez-vous que les femmes enceintes se fassent avorter, pour la seule raison qu’elles y habitent ? » ironisa Ariel Sharon.
Ainsi naquit, dans les milieux les plus éclairés d’Israël et de la Palestine, l’idée d’une nouvelle « initiative de paix ». Sari Nusseibeh, président de l’université Al-Qods, à Jérusalem-Est, et Ami Ayalon, ancien chef du Shin Beth (de février 1996 à mai 2000) l’ont lancée officiellement le 25 juin 2003 sous le nom La Voix du peuple lors d’une
conférence de presse tenue à Tel-Aviv. Et d’expliquer que leur objectif est d’obtenir sur leur texte, par une campagne de signatures, un appui massif de l’opinion publique, tant israélienne que palestinienne. « Si les citoyens ne descendent pas dans la rue pour dire : voilà ce que nous voulons, nous n’arriverons à rien », s’est notamment exclamé Ami Ayalon.
Remédiant aux lacunes de la feuille de route, la déclaration d’intention de La Voix du peuple énonce donc fermement six principes :

1. Deux États pour deux peuples. Les deux parties déclareront que la Palestine constitue le seul État du peuple palestinien, et Israël le seul État du peuple juif.

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2. Frontières. Des frontières permanentes entre les deux États feront l’objet d’un accord sur la base des lignes du 4 juin 1967, des résolutions des Nations unies et de l’initiative de paix arabe (ou « initiative saoudienne »). Des rectifications de frontières seront fondées sur le principe de l’échange de territoires à égalité, en fonction des besoins vitaux des deux parties, tout en tenant compte de considérations démographiques, de continuité territoriale et de sécurité. L’État palestinien bénéficiera d’un lien entre ses deux territoires géographiques, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Après l’établissement des frontières mutuellement acceptées, aucun colon ne demeurera dans l’État palestinien.

3. Jérusalem. La Ville sainte sera une ville ouverte, capitale de deux États. La liberté de culte et le libre accès aux Lieux saints seront garantis pour tous. Les quartiers arabes passeront sous souveraineté palestinienne, les quartiers juifs sous souveraineté israélienne. Aucune partie n’exercera de souveraineté sur les Lieux saints. L’État de Palestine sera désigné « Gardien du mont du Temple » (le Haram el-Cherif) au bénéfice des musulmans, Israël sera désigné « Gardien du Mur des lamentations », au bénéfice des Juifs. Le statu quo ante concernant les Lieux saints chrétiens sera maintenu. Il n’y aura pas de fouilles archéologiques dans les Lieux saints, ni sous les Lieux saints.

4. Droit au retour. Reconnaissant la souffrance et la détresse des réfugiés palestiniens, la communauté internationale, Israël et l’État de Palestine créeront un fonds international pour les dédommager et y apporteront leur contribution. Les réfugiés palestiniens ne retourneront que dans l’État de Palestine. Les Juifs ne retourneront que dans l’État d’Israël.

5. L ‘État palestinien sera démilitarisé ; la communauté internationale garantira sa sécurité et son indépendance.

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6. Fin du conflit. Avec la mise en uvre complète de ces principes, toutes les revendications des deux parties prendront fin, ainsi que le conflit israélo-palestinien.

La Voix du peuple n’est pas une formule vaine. Significativement, le 2 novembre 2003, le projet Nusseibeh-Ayalon a déjà recueilli les signatures de 100 000 Israéliens et de plus de 60 000 Palestiniens. Significativement aussi, les deux auteurs de l’initiative n’ont voulu l’opposer ni à la feuille de route, ni à l’Accord de Genève.
« La feuille de route contient six pages, a commenté Ami Ayalon, approuvé par Sari Nusseibeh. Si on lui en ajoute une septième avec nos six principes, alors l’espoir pourra renaître. »
Quant à l’Accord de Genève, qui a le mérite d’entrer, pour la première fois, dans tous les détails du processus de paix, la seule réserve formulée par Ami Ayalon porte sur la « souveraineté » qu’il accorde aux Palestiniens sur le mont du Temple. « Je peux accepter l’absence de souveraineté, mais pas de céder ma souveraineté à un autre peuple. » Administration, donc, mais non souveraineté : ce qui vaut aussi, en face, pour le Mur des lamentations.
Pris de court par ces initiatives et critiqué dans son propre camp, Ariel Sharon a réagi à sa manière habituelle : en tentant de reprendre la main par des gestes plus ou moins symboliques tout en réaffirmant, sur le fond, des positions inchangées.
La réaffirmation s’est adressée le 20 novembre à Lally Weymouth, qui l’interviewait pour l’hebdomadaire américain Newsweek : rien n’adviendra sans une complète cessation du terrorisme, dont l’État hébreu est évidemment seul juge. Puis, le calme étant assuré, « Israël reconnaîtra un État palestinien… sans frontières définitives ». Et rien n’est dit des colonies, sinon, sur une question, que « les Juifs doivent être en mesure de vivre une vie normale dans leur patrie ».
Le geste vise Ahmed Qoreï, nouveau Premier ministre palestinien, qu’il se déclare prêt à rencontrer. En quoi il n’hésite pas à paraître se déjuger puisqu’il n’avait jamais voulu voir Mahmoud Abbas, qui avait pourtant pris ses distances avec Yasser Arafat, alors que Ahmed Qoreï a proclamé hautement qu’il ne ferait rien sans l’aval du président palestinien.
Dans une interview du 23 novembre au Yedioth Aharonot, Sharon a même feint d’aller plus loin : « Je songe à des mesures unilatérales qui faciliteraient les choses pour Israël et protégeraient ses intérêts, sans qu’on se demande si elles sont bonnes aussi pour les
Palestiniens. » Il pourrait s’agir, laissait-on entendre, de l’évacuation de colonies isolées dans la bande de Gaza.
Mais il s’est attaché lui-même à minimiser la portée de ces propos, où des commentateurs hâtifs avaient cru discerner l’amorce d’un « plan Sharon ». Comme ses collaborateurs,
lors d’une réunion du Likoud, le pressaient d’entrer dans les détails, tandis que le Yesha (Conseil des colons) menaçait d’ériger un « mur de fer » politique (allusion à la célèbre formule de Vladimir Jabotinsky) pour s’opposer à toute évacuation, il s’exclama : « Je ne comprends pas. Je n’ai dit que la moitié d’une phrase, et on l’interprète de tous les côtés ! »

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