Des modérés fanatiques

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Le 12 octobre, Yossi Beilin, ancien ministre israélien de la Justice, et Yasser Abed Rabbo, ancien ministre palestinien de l’Information, ont parachevé un projet de traité de paix détaillé, avec cartes à l’appui, négocié de leur propre initiative avec l’aide financière du gouvernement suisse. Cet Accord de Genève, comme on l’appelle, est distribué, ces jours-ci, en hébreu et en arabe, dans tous les foyers d’Israël, de Cisjordanie et de Gaza.
Ariel Sharon et sa coalition d’extrême droite ont sauté au plafond, hurlant à la trahison et dénonçant le culot, le chutzpah, de ce Beilin, qui traitait avec un adjoint d’Arafat. Le déchaînement du Likoud contre Beilin – et contre l’ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, qui critiquait le peu d’empressement du gouvernement Sharon à soutenir les modérés palestiniens – est typique de la réaction d’un parti majoritaire conscient qu’il n’a pris aucune initiative en faveur de la paix depuis qu’il est au pouvoir et qui ne supporte pas qu’on le lui fasse remarquer.

L’Accord de Genève reprend les grandes lignes de l’initiative de paix du président Bill Clinton. Il n’y a pas besoin d’être d’accord avec tous les détails pour en voir la sagesse et la justesse fondamentales : en échange de la paix avec Israël, les Palestiniens ont droit à un État démilitarisé en Cisjordanie et à Gaza.
Ils ont droit également aux quartiers arabes de Jérusalem-Est et à la souveraineté sur le mont du Temple, mais sous le contrôle d’une force de sécurité internationale, et avec libre accès aux Juifs. Les Israéliens obtiennent de conserver des colonies qui hébergent environ 300 000 des 400 000 Juifs de Cisjordanie (en échange d’une portion de territoire équivalente d’Israël), y compris pratiquement tous les nouveaux quartiers juifs de Jérusalem construits dans la partie arabe de la ville. Environ 30 000 réfugiés palestiniens seront autorisés à regagner leur foyer en Israël même, et tous les réfugiés auront droit à un dédommagement. Les sondages montrent que 30 % à 40 % des Israéliens et des Palestiniens sont déjà favorables à cet accord, sans qu’aucun des deux gouvernements ne l’ait encore avalisé.
« Notre pacte est virtuel, parce que nous ne sommes pas le gouvernement et que nous ne prétendons pas l’être », explique Beilin, aux côtés duquel ont signé un ancien chef d’état-major de l’armée israélienne, un ancien chef adjoint du Mossad et des dirigeants de la milice Tanzim d’Arafat. « Mais, ajoute Beilin, nous avons besoin de créer un monde virtuel qui aura un impact sur le monde réel en démontrant qu’un accord viable est possible. Il est incroyable qu’il n’y ait pas eu depuis trois ans de rencontres officielles entre Israéliens et Palestiniens pour la recherche d’une solution permanente. »

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Vers 2010, on comptera plus de Palestiniens que de Juifs en Israël, en Cisjordanie et à Gaza réunis. « Nous, les Juifs, nous ne serons plus, bientôt, majoritaires, ajoute Beilin. Cela ne préoccupe peut-être pas le président Bush, mais cela me préoccupe, moi, et cela devrait préoccuper Sharon. Si nous ne faisons rien pour installer une frontière entre les Palestiniens et nous, c’en est fini du rêve sioniste. »
Ce que j’ai toujours admiré chez Beilin, c’est que c’est un modéré fanatique – aussi passionné par sa modération que les extrémistes le sont par leur extrémisme. Dans un Moyen-Orient où les extrémistes y vont à fond et les modérés plutôt mollo, l’exemple qu’il donne, lui et ses partenaires palestiniens, est capital. Ils montrent qu’en Israël et en Cisjordanie, la société civile a encore son mot à dire et refuse de sombrer dans le pessimisme. Mais elle a besoin du courage et de l’aide de l’Amérique, et elle mérite de les avoir. L’Amérique lui doit bien cela. Elle se le doit aussi à elle-même. Parce que le combat est le même en Arabie saoudite et en Irak, où les extrémistes intimident les modérés en ne reculant devant rien – faisant sauter la Croix-Rouge, les Nations unies et leurs coreligionnaires musulmans. Les États-Unis peuvent former toute la police qu’ils voudront en Irak ou dans le monde arabe, s’ils ne redonnent pas du coeur au ventre aux modérés de ces pays – ceux qui sont prêts à lutter pour que se réalisent les espoirs des majorités intimidées -, l’avenir s’annonce très mal.
Modérés de tous les pays, unissez-vous ! Nous n’avons rien à perdre, que notre pessimisme. Ou bien nous nous arrangerons pour que l’avenir fasse table rase du passé ; ou bien les « salopards » s’arrangeront pour que le passé fasse table rase de l’avenir.

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