Ceux qui ont négocié avec Kadhafi

Dans une enquête pour le quotidien britannique « Financial Times », Edward Alden et Roula Khalaf ont « démonté » le dénouement de l’affaire Lockerbie, quinze ans après l’attentat contre l’avion de la PanAm.

Publié le 1 décembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Au début de 1999, deux hauts responsables américains débarquent à Genève pour une rencontre secrète avec Moussa Koussa, chef des services de renseignements libyens. Pour la première fois, deux officiels du gouvernement américain, Martin Indyk, secrétaire d’État adjoint chargé du Moyen-Orient, et Bruce Riedel, haut fonctionnaire de la Maison Blanche, vont s’asseoir en face d’un homme impliqué dans un acte terroriste. Si le monde l’apprend, c’est le scandale garanti : les familles des 189 victimes américaines de Lockerbie ont constitué un puissant lobby au Congrès qui milite en faveur du maintien des sanctions contre Tripoli.

Indyk et Riedel ont, ce jour-là, été directs : si elle veut améliorer ses relations avec Washington, la Libye doit coopérer avec les États-Unis en combattant les organisations terroristes, admettre ses responsabilités dans l’attentat de Lockerbie et payer des compensations financières complètes aux familles des victimes. « À notre grande surprise, Moussa Koussa a répondu favorablement et clairement à toutes nos demandes », confiera Indyk.
Les négociations commencent aussitôt pour se terminer le 12 septembre 2003, le jour où le Conseil de sécurité de l’ONU lève les sanctions contre la Libye. « Pour la première fois dans l’histoire moderne, un pays a renoncé de façon non équivoque à utiliser la terreur comme instrument politique », déclare Emyr Jones Parry, l’ambassadeur du Royaume-Uni auprès des Nations unies. Le prix de la réhabilitation est pourtant fort élevé : 2,7 milliards de dollars. La Libye a dû négocier non seulement avec le gouvernement américain, mais aussi avec une cohorte d’avocats représentant les familles des victimes. « Il nous fallait obtenir de la Libye qu’elle abandonne le recours au terrorisme, qu’elle comprenne que cette pratique est inadmissible et qu’elle finisse par payer », confiera Allan Gerson, le premier avocat américain à avoir engagé des poursuites judiciaires contre la Libye. Pour cette dernière, ce n’était pas une affaire de sentiment, mais de réalisme économique. « Notre pays doit développer son exploitation pétrolière et relancer ses activités dans le transport aérien. Pour tout cela, nous avons besoin de la technologie américaine », admet alors le ministre libyen des Affaires étrangères, Abderrahman Chalgham.

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Après la rencontre de Genève, Tripoli expulse effectivement plusieurs extrémistes palestiniens et fournit à Washington des informations sur les groupes terroristes, y compris el-Qaïda. En avril 1999, les deux suspects libyens dans l’affaire Lockerbie sont remis à la justice écossaise. Au fur et à mesure, un climat de confiance s’est instauré entre les négociateurs. Après l’élection de George W. Bush, le nouveau secrétaire d’État, Colin Powell, est briefé. « Il a été surpris et choqué », se rappelle Edward Walker, qui a pris le relais de Martin Indyk. « À tel point, qu’il voulait arrêter tout. » Moussa Koussa est revenu à la charge jusqu’à ce que Colin Powell décide, en août 2001, avant donc les attentats du 11 septembre, de reprendre les négociations, mais au grand jour… Il nomme William Burns, son adjoint, pour reprendre le dialogue. L’information n’est cependant rendue publique que le 30 janvier 2002 avec une déclaration de William Burns : « Si la Libye accepte nos conditions, les portes seront ouvertes. »

Il revenait aux avocats américains, menés par Jim Kreindler, de conclure sur le montant des compensations financières avec… une délégation d’hommes d’affaires libyens, conduits par Mohamed Abdeljawad. Kreindler leur demande 20 millions de dollars par famille, soit 5,4 milliards de dollars au total. Abdeljawad propose 1 million par famille… en précisant qu’il peut offrir dix fois plus si les sanctions américaines sont levées après celles des Nations unies. Pour Tripoli, cette dernière offre – la moitié de ce que réclament les avocats – équivaut au coût des sanctions pendant vingt mois. L’accord est donc arrêté : la Libye versera 10 millions de dollars par famille, dont la moitié lui sera retournée si le gouvernement américain refuse de lever ses propres sanctions. Le 28 mai 2002, Kreindler envoie un message à chacune des familles. « J’ai le plaisir de vous informer qu’après dix mois de négociations à New York, Londres et Paris, nous avons finalement trouvé un arrangement… »

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