Bâtir autrement

Dans le respect de la culture et de l’environnement, une nouvelle approche de l’architecture urbaine se dessine.

Publié le 2 décembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Les matériaux modernes ont permis aux architectes de se libérer des contraintes techniques. Sur tous les continents, ils ont inventé des formes radicalement novatrices et construit des tours rutilantes de métal et de verre. Cet ambitieux design exalte la toute-puissance créatrice du concepteur et flatte les commanditaires, multinationales, gouvernements ou privés fortunés. Autonomes, isolés de leur environnement, sans mémoire ni culture, ces nouveaux bâtiments ont été conçus sans tenir compte de leur voisinage. Mais ces paquebots urbains ne sont guère économes en énergie, ni adaptés aux conditions locales. La reproduction à l’identique des mêmes gratte-ciel sur tous les continents a montré les limites de cette architecture universelle. L’architecte viennois Adolphe Loos a résumé cette situation en une phrase : « Par la faute de l’architecte, l’art de bâtir s’est dégradé, il est devenu un art graphique. » Ainsi, quand Nehru invite Le Corbusier à construire en Inde une nouvelle cité radieuse à Chandigarh, l’architecte suisse féru de modernisme n’imagine pas d’adapter son travail aux spécificités de la culture locale. Ses « brise-soleil » sont notamment à l’origine d’un inconfort extrême pour les occupants de Chandigarh. Non seulement la poussière s’y accumule, mais ils captent la chaleur toute la journée pour la rediffuser la nuit dans les immeubles. Des vérandas traditionnelles auraient été moins coûteuses à construire et plus efficaces. Avec cette technique qui a fait ses preuves, les immeubles auraient été protégés pendant la journée des ardeurs du soleil, et se seraient rafraîchis plus rapidement le soir.
De nouveaux courants d’architecture ont émergé ces dernières années. Utilisation des matériaux locaux, adaptation des formes au climat régional, meilleur respect du style architectural environnant sont les axes principaux de cette nouvelle voie de l’architecture, dont le XXIe siècle devra continuer à explorer les potentialités. Les matériaux locaux sont à nouveau à l’honneur. Paille, bois et briques en terre cuite sont réutilisés, y compris pour la construction de bâtiments imposants. Dans les villages et petites villes des pays du Sud, le mélange d’argile, de paille et d’eau reste très apprécié pour construire les habitations. Nommé « banco » en Afrique et « adobe » en Amérique, son avantage est de réchauffer l’habitat pendant la saison froide et de garder la fraîcheur pendant la saison chaude. La mosquée de Djenné, au Mali, est construite en banco. Ce matériau résiste aux chaleurs extrêmes, là où le béton se fissure et doit être réenduit chaque année après la saison des pluies. Un mélange de banco avec 5 % de béton permet d’éviter cette maintenance annuelle tout en gardant les qualités thermiques qui font sa renommée. Il existe un avenir pour ces alliages, qui associent tradition et modernité.
Une régulation thermique s’obtient aussi en travaillant les formes des immeubles et des habitations. Une double enveloppe extérieure facilite la circulation de l’air pour rafraîchir ou protéger du froid. Des techniques connues depuis des temps immémoriaux, comme les bâdguirs iraniens ou les puits provençaux, ont été remises au goût du jour, et regroupées sous le nom de bioclimatisme. Le principe des bâdguirs consiste à faire circuler de l’air de haut en bas d’une habitation, en le rafraîchissant éventuellement par un bassin d’eau, situé au fond de l’immeuble. La société britannique Monodraught commercialise des cheminées d’aération à partir de ce principe devenu moderne. Les puits provençaux ou canadiens, eux, fonctionnent, en faisant circuler l’air dans un tuyau sous terre, pour capter la chaleur ou la fraîcheur du sol selon la saison. En Malaisie, l’architecte Ken Yeang a remis à l’honneur les vérandas et les colonnades de l’architecture traditionnelle, très efficaces à la fois pour se protéger de la rigueur du soleil et pour créer des lieux de vie. Ken Yeang s’est spécialisé dans la construction de gratte-ciel « écologiques », comme la Menara Mesiniaga ou la tour IBM, toutes deux situées à Kuala Lumpur. Il ambitionne de refaire de sa ville une cité tropicale avec des jardins urbains reliés par des allées ombragées, et des immeubles de haute taille, les éco-tours, utilisant des techniques de ventilation naturelle. Référence aux formes traditionnelles locales et prise en compte des normes de confort moderne pourraient résumer sa démarche.
Cette nouvelle architecture peine néanmoins à se développer, car elle s’éloigne trop des clichés habituels de la modernité. Les immeubles de bureaux d’Harare, au Zimbabwe, conçus et ventilés comme des termitières, consomment en climatisation dix fois moins d’énergie que les immeubles classiques. Mais ils sont d’apparence plus modeste et moins lumineux que les bâtiments modernes. En Afrique comme en Europe, les tentatives de promouvoir des formes moins agressives et plus économes se heurtent à la volonté d’afficher sa richesse. En attendant que les mentalités évoluent, l’architecture pourra se renouveler dans des constructions plus modestes, comme les écoles, les centres de santé ou les centres culturels, plus réceptifs à une amélioration du cadre de vie. Il est en tout cas devenu vital que les concepteurs écoutent les demandes des gens qui doivent habiter leurs oeuvres au quotidien. La planche à dessin des bureaux d’études fait vite oublier la réalité du terrain, souvent sacrifiée au bénéfice de la prouesse technique. À pied ou à vélo, l’homme s’égare dans l’immensité de Chandigarh. Le romancier V. S. Naipaul a lui-même décrit ces villes qui meurent « quand personne ne peut s’y promener ». Nul doute que les nouvelles techniques architecturales, plus intimes et plus confortables, peuvent redonner le goût de la flânerie à leurs habitants. Et celui de vivre en milieu urbain.

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