Environnement : le silence de la forêt congolaise
Le bassin du fleuve Congo, deuxième réserve forestière humide après le bassin amazonien, est aussi un gigantesque piège à CO2 aujourd’hui en danger. Un sommet se tient fin avril à Brazzaville sur le sujet, dans un assourdissant silence médiatique.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 2 avril 2018 Lecture : 4 minutes.
Édito. Ce 25 avril se tiendra à Brazzaville un sommet de seize chefs d’État d’Afrique centrale et de l’Est, auquel devrait se joindre le roi du Maroc Mohammed VI. Sujet et objet capitaux – le bassin du fleuve Congo et son rôle majeur dans l’équilibre climatique de la planète –, mais exposition médiatique inversement proportionnelle, tout au moins faut-il le craindre.
Que pèse l’avenir de l’humanité face à la polémique sur la nationalité d’emprunt de Katumbi, le mutisme de Bédié, les dauphins furtifs de Biya ou le énième candidat à la présidentielle malienne ? Rien en termes de clics sur la Toile africaine, tout pour peu que l’on prenne en compte les multiples enjeux – politiques, sociaux, économiques, existentiels – du réchauffement climatique.
La myopie du « fast thinking »
Lorsque les côtes du golfe de Guinée reculent chaque année un peu plus du fait de l’érosion, que les pluies hors saison font s’effondrer des quartiers entiers de Kinshasa, de Luanda ou de Monrovia, lorsque l’avancée du désert multiplie les conflits armés entre agriculteurs et éleveurs tout le long de la bande sahélienne, offrant au jihadisme un terreau fertile, la myopie du « fast thinking » pose un vrai problème.
En Afrique plus qu’ailleurs, l’information sur l’environnement demeure largement inégalitaire car réservée à une élite experte. Pour la grande masse des citoyens, obligés de se contenter d’une information gratuite de mauvaise qualité, pauvre pour les pauvres, ces défis qui les concernent échappent encore très largement à l’entendement.
Les tourbières, une bombe à retardement en mesure d’asphyxier la moitié de la planète
Et pourtant : quel extraordinaire poumon de notre globe que cette forêt congolaise, deuxième réserve forestière humide après le bassin amazonien !
Ici se concentrent près du quart des forêts tropicales du monde, plus de la moitié des espèces terrestres végétales et animales connues, une biodiversité halieutique unique et – si l’on n’y prend garde – une bombe à retardement en mesure d’asphyxier la moitié de la planète.
Cette arme fatale a un nom : tourbière. Un lieu : à cheval sur la frontière entre les deux Congos, quelque part entre Epéna et Mbandaka. Une fonction : celle de capturer en son sein trente gigatonnes de carbone, soit l’équivalent de quinze à vingt ans d’émissions toxiques de CO2 des États-Unis.
Intérêt vital pour l’humanité
Mise au jour il y a un peu plus d’un an, via une étude passée presque inaperçue de la revue scientifique britannique Nature, cette tourbière, la plus vaste au monde, est d’un intérêt vital pour l’humanité. La protéger et empêcher que son assèchement, déjà envisagé côté RD Congo par quelques prédateurs pétroliers, n’aboutisse à la libération dans l’atmosphère d’une couche toxique dévastatrice sont considérés par les Nations unies comme une priorité écologique absolue.
Il en va du bois comme du pétrole en Afrique centrale : une richesse exportée brute dans le cadre d’une économie d’extraction rentière
C’est pour le répéter que le « Monsieur Environnement » de l’ONU, Erik Solheim, s’est rendu, fin mars, à Brazzaville, à l’occasion de la première réunion en terre africaine de l’Initiative mondiale sur les tourbières.
Silence médiatique aussi quant à l’urgence de sauvegarder le biotope forestier et les quelque 5 millions d’Africains qui y vivent et en vivent, depuis le sud du Cameroun jusqu’au Maniema. Ici aussi, les pilleurs sont au nord (ou à l’est) et les victimes au sud.
Il en va du bois comme du pétrole en Afrique centrale : une richesse exportée brute dans le cadre d’une économie d’extraction rentière. Comment résister au rush mondial sur les réserves, évoluer vers une économie durable et diversifiée, sortir du Far West ?
Certes, depuis des décennies, les ministres chargés de ce secteur mettent régulièrement en scène saisies de cargaisons illicites de bois précieux, arrestations de braconniers et campagnes de planting télévisées.
Ce ne sont pas les outils qui manquent, c’est le courage de s’en servir
Mais les chiffres sont là : la grande forêt du bassin du Congo a perdu 700 000 ha entre 2000 et 2010, presque autant de 2010 à 2018. Car si l’appareil réglementaire destiné à contrôler la production de l’économie forestière et à réguler les aires protégées existe dans toutes les législations des pays de la région, encore faut-il l’appliquer.
C’est bien là le problème récurrent et quasi généralisé à tous les secteurs de la vie publique en Afrique centrale : on légifère, mais les décrets d’application tardent à venir et la volonté politique des acteurs de l’État est souvent aux abonnés absents. Ce ne sont pas les outils qui manquent, c’est le courage de s’en servir.
>>> A LIRE – Le Fonds bleu destiné à préserver le Bassin du Congo est sur pied
Pourtant, peu à peu, les temps changent. Depuis la COP21 de Paris et la COP22 de Marrakech, et sous l’impulsion de quelques-uns d’entre eux, les chefs d’État africains ont compris que l’environnement était sur la scène internationale une cause à la fois porteuse, éthique et potentiellement « bankable ».
Une prise de conscience s’opère aux allures de révolution copernicienne : alors que nombre de ses enfants continuent de migrer vers le nord, une partie de l’Afrique tient entre ses mains, au cœur de ses forêts, de ses tourbières et de son écosystème, une partie du destin de l’humanité.
Situation schizophrénique à laquelle une participation massive des bailleurs internationaux au Fonds bleu, cet instrument financier d’investissement durable de la Commission climat du bassin du Congo, lancé il y a un peu plus d’un an à Marrakech et à Oyo, apporterait un début de remède. Ce sera à l’ordre du jour du sommet du 25 avril. Et cela mérite que les médias s’y intéressent.
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