Université : toujours plus

En moins de dix ans, le nombre d’étudiants a triplé. Bientôt, la moitié des jeunes accéderont à l’enseignement supérieur. Encore faut-il que les emplois suivent

Publié le 31 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Avec moins de dix millions d’habitants, la Tunisie possède treize universités, dont cinq dans le seul district de Tunis. Les autres, qui comptent chacune entre 20 000 et 25 000 étudiants, se répartissent entre les diverses régions du pays. Chaque année, plus de 70 000 nouveaux bacheliers viennent grossir les effectifs universitaires. Conséquence : en moins dix ans, le nombre des étudiants a presque triplé, passant de 113 000 en 1995-1996 à 327 000 en 2004-2005. Quant aux enseignants, ils ont vu leur nombre multiplié par quatre en quinze ans, passant de 4 550 en 1990 à 17 000 actuellement, avec une augmentation de près de 1 000 par an (entre statutaires et contractuels). Autre conséquence : 5 % du budget de l’État, soit 652 millions de dinars (1 dinar vaut 0,62 euro), est alloué au ministère de l’Enseignement supérieur (statistique de 2005), contre seulement 3,8 % (45,5 millions) en 1980.
Au cours de la dernière rentrée, 74 000 bacheliers ont fait leur entrée à l’université, portant ainsi les effectifs estudiantins à 366 000, dont plus de la moitié de filles (57,2 %). Pour accueillir ce flux de nouveaux venus, 16 établissements supérieurs étatiques ont été inaugurés, portant ainsi le nombre des instituts universitaires à 178, auxquels il convient d’ajouter une vingtaine d’instituts privés agréés.
Selon Lazhar Bououni, ministre de l’Enseignement supérieur, les effectifs estudiantins atteindront un demi-million de personnes en 2009-2010. Près de la moitié des jeunes âgés de 19 à 24 ans (49 %, contre 34 % actuellement) – la moyenne dans les pays de l’OCDE ne dépassant guère actuellement 40 % – auront alors accès à l’enseignement supérieur. Pour leur assurer une formation adéquate, l’État a prévu de créer 59 nouveaux établissements, soit une douzaine par an. Cela suppose un renforcement équivalent du cadre enseignant, des équipements et des oeuvres universitaires (logement, restauration, sécurité, santé, culture…).
Aussi est-il prévu de recruter, d’ici à 2009, 6 500 enseignants (1 200 par an), et de porter ainsi le nombre de professeurs du supérieur à 23 500. Pour combler le manque de formateurs dans certaines matières, une centaine de professeurs du secondaire seront engagés dans les filières de l’anglais et de l’informatique et une autre centaine dans les disciplines technologiques. La Tunisie ne fait appel – à la fois par choix et par nécessité – aux enseignants étrangers que pour combler un manque de compétences nationales dans les matières pointues. Sur les 17 000 universitaires que compte le pays, seuls 350 sont de nationalité étrangère. S’y ajoutent des Tunisiens expatriés revenus au pays pour donner des cours spécialisés.
Pour faire face aux défis lancés par l’explosion des effectifs universitaires, fruit du baby-boom des années 1980 et des réformes de l’enseignement entreprises dans les années 1990, l’État fournira les plus gros efforts. Mais les privés ne manqueront pas, eux aussi, d’apporter leur contribution dans les domaines de la formation – ils devraient accueillir 20 000 étudiants à la fin du Xe plan de développement, en 2006 -, du logement et de la restauration, où ils bénéficient de nombreux avantages et encouragements.
Afin de désengorger les amphithéâtres, un autre créneau sera développé : l’enseignement à distance, grâce notamment à l’Université virtuelle. Créée en janvier 2002, celle-ci dispense déjà plus de trois cents cours sur des supports numériques. L’objectif des pouvoirs publics est de porter ce nombre, vers 2006, à quatre cents, et d’atteindre ainsi 20 % de formation en « enseignement non présentiel » (pouvant s’effectuer à distance, par des CD-Rom ou par des documents imprimés). Cette année, 15 500 étudiants suivent ce type d’enseignement. Ce nombre devrait dépasser 20 000 en 2006.
Tous ces engagements nécessitent un effort financier conséquent. Ainsi les investissements de l’État dans l’enseignement supérieur devraient-ils atteindre, entre 2002 et 2006, 662 millions de dinars, auxquels il convient d’ajouter 100 millions de dinars au titre de l’investissement dans la recherche scientifique, soit une augmentation de 433 millions de dinars par rapport aux montants alloués au secteur durant le IXe plan de développement (1997-2001).
Outre la mise en place des infrastructures, la formation des cadres et la réforme générale des cursus universitaires, l’État doit faire face à deux autres défis. Le premier consiste à assurer une qualité d’enseignement susceptible de préserver la crédibilité des diplômes nationaux. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. De nombreux employeurs se plaignent du niveau des diplômés et de leur manque de qualification professionnelle. Pour assurer une formation plus solide à leurs enfants, beaucoup de parents préfèrent les envoyer étudier à l’étranger, notamment en France, au Canada, aux États-Unis, mais aussi en Ukraine, en Bulgarie et en Russie (voir J.A.I. n° 2333). Il s’agit, en second lieu, de trouver des débouchés aux 50 000 diplômés que l’université met désormais chaque année sur le marché de l’emploi. Avec un taux de réussite estimé aujourd’hui à 70 % pour les filières courtes et longues, ce nombre devrait dépasser 70 000 en 2009, puis 100 000 en 2014, avant d’entamer une courbe décroissante.
Pour réduire le chômage, qui frappe officiellement 15 % de la population active et 10 % des diplômés du supérieur – chiffres que certains experts indépendants majorent de moitié -, le gouvernement a promulgué, en 2003, une loi qui stipule que l’État prend en charge 50 % du salaire des jeunes recrutés par les petites et moyennes entreprises poursuivant un programme de mise à niveau, ainsi que par celles qui sont créées dans les zones de développement prioritaire et celles ayant recruté pour la première fois les diplômés du supérieur, plafonnant cependant cette prise en charge à 250 dinars par mois (180 euros) et par diplômé recruté.
Un nouveau texte, promulgué au début du mois d’octobre, élargit la liste des bénéficiaires de cette loi à la totalité des entrepreneurs privés qui recrutent des diplômés du supérieur. Objectif : améliorer le taux d’encadrement des entreprises privées, qui ne dépasse guère 12,7 %, et contribuer par la même occasion à la réduction du chômage.
Selon Chedli Laâroussi, ministre de l’Emploi et de l’Intégration professionnelle, sur 217 000 demandeurs d’emploi diplômés du supérieur, près de 200 000 ont pu trouver un travail au cours de la dernière décennie. Il n’en reste pas moins un « paquet » de quelque 15 000 à 20 000 diplômés chômeurs, dont des médecins, ingénieurs, avocats et techniciens supérieurs. L’État a beau multiplier les initiatives visant à encourager l’auto-emploi et la création de petites entreprises, le nombre de ces nouveaux chômeurs est appelé à augmenter au cours des prochaines années. Faute de trouver des emplois dans le pays, beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui tentés d’émigrer en Europe. Par les voies légales ou… illégales.

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