Tunisie : pourquoi la Pharmacie centrale craint une pénurie de médicaments
Panique dans les centres de santé et les pharmacies : plusieurs médicaments sont indisponibles auprès de la Pharmacie centrale. Accumulant les dettes, cette dernière serait incapable de payer ses fournisseurs. Entre 60 et 100 produits manqueraient à l’appel.
« Le stock stratégique en médicaments est passé de 3 mois à 1 mois et 20 jours… », alertait vendredi 30 mars Abdelmonem Ben Ammar, secrétaire général adjoint du syndicat de base de la Pharmacie centrale, au micro de Shems FM. Une situation due au surendettement de la Pharmacie centrale qui a atteint les 400 millions de dinars (135 millions d’euros) auprès des fournisseurs étrangers. L’institution, qui détient le monopole en matière d’importation de médicaments, ne parvient plus à rembourser ses fournisseurs, dont certains refusent de poursuivre l’approvisionnement en médicaments.
« Certains médicaments risquent de devenir indisponibles en Tunisie », avait alors prévenu le syndicaliste. Une crainte qui commence à devenir une réalité : les pilules contraceptives sont désormais en rupture de stock, aussi bien dans les hôpitaux que dans les pharmacies. Une première dans l’histoire du pays.
Certains patients cancéreux ont dû retarder leurs chimiothérapies », déplore le syndicaliste
Pénurie de médicaments de première nécessité
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Mais cette pénurie de pilules contraceptives n’est que « la phase visible de l’iceberg », précise Mustapha Laroussi, président du syndicat des Pharmaciens d’Officines. Selon lui, une panoplie de médicaments manquent déjà, dont des médicaments de première nécessité : des antiseptiques, des anxiolytiques, des antidépresseurs, quelques immunosuppresseurs… Au total, il manquerait actuellement entre 60 et 100 produits, selon le syndicaliste. « Certains patients cancéreux ont dû retarder leurs chimiothérapies », déplore Laroussi.
Le Pharmacie centrale et le bureau national du syndicat des pharmaciens avaient déjà tiré la sonnette d’alarme en août 2016, mais ce qui était alors une crise par intermittence est devenu, ces dernières semaines, une crise permanente.
Dettes non remboursées
Derrière cette situation, les dettes non remboursées par les structures hospitalières et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) à la Pharmacie centrale. Elles s’élèveraient à plus de 820 millions de dinars (275 millions d’euros), selon les syndicats de la santé.
Autre raison : la non-application de l’accord issu du Conseil ministériel du 6 novembre 2017, durant lequel la CNAM s’est engagée à verser une somme mensuelle de 33,8 millions de dinars (11 millions d’euros) et les hôpitaux une somme mensuelle qui varie entre 10 et 12 millions de dinars (3,4 millions et 4 millions d’euros). La Pharmacie centrale n’aurait reçu, pendant cinq mois, qu’une somme de 32,3 millions de dinars (10,7 millions d’euros) de la part de la CNAM et une somme de 6 millions de dinars (2 millions d’euros) de la part des hôpitaux.
Au-delà du retard de paiement de ses créanciers, l’augmentation de la dette de la Pharmacie centrale s’explique par la forte dévaluation du dinar. Cette institution publique est censée distribuer les médicaments à un prix fixe et a dû absorber l’augmentation des prix des médicaments importés. Sa dette est par exemple passée de 21 millions de dinars en décembre 2016 à 210 milliards de dinars en décembre 2017.
Suspicions de corruption
Le syndicat des Pharmaciens d’Officines pointe également « le manque de réactivité du gouvernement » et le climat de suspicion qui règne depuis que le chef du gouvernement, Youssef Chahed, a effectué le 8 janvier une visite d’inspection au siège de la Pharmacie centrale, au cours de laquelle il avait découvert plusieurs dépassements. Trois enquêtes pour suspicions de corruption ont depuis été ouvertes par le ministère de tutelle.
Ces dossiers concernent principalement le trafic de médicaments vers les pays voisins, l’utilisation de médicaments périmés ou le vol de médicaments au sein des entrepôts et des hôpitaux.
Aucun médicament n’est en rupture de stock », a affirmé le ministre de la Santé
Les autorités temporisent
Pour le moment, bien que le gouvernement admet l’existence « d’une pénurie de médicaments », il ne veut pas alimenter la panique. Interviewé par Mosaïque FM, le ministre de la Santé, Imad Hammami, a affirmé qu’« aucun médicament n’est en rupture de stock ».
Fin mars, il avait dévoilé que l’État tunisien avait déboursé d’importantes sommes d’argent aux fournisseurs européens de la Pharmacie centrale afin d’éviter qu’elle ne soit classée sur une liste noire, en raison de l’accumulation de ses dettes.
Pour l’instant, les pharmaciens affirment n’avoir aucune information sur les dates de reprise de la commercialisation de certains médicaments.
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